J'ai reçu parmi mes mails une invitation à lire un texte d'un collectif dont, je l'avoue, le nom m'était encore inconnu : le collectif TETE - Toutes Egales au Travail et à l'Ecole -. TETE, nous apprend-on, a décidé de soutenir Amnesty International, en tout cas le rapport (très discuté et discutable) d'Amnesty concernant les discriminations envers les musulmans. En fait, un seul aspect de ce rapport est abordé : le port du voile. Ce texte s'offre à vous ici . On retrouve donc le site Tayush, sur lequel nous avions déjà fait un tour.
Je doute qu'Amnesty reçoive un soutien bien indispensable en ces lignes que les quotidiens ont refusé de publier en "Carte Blanche", à mon avis simplement parce qu'il n'apporte rien que d'autres semblables n'aient déjà apporté, de façon moins inconsistante. N'empêche que cette nouvelle tentative d'offensive appelle quelques remarques.
Tout d'abord : le collectif TETE parlerait au nom des femmes portant le voile. Plus précisément, la publication de son texte est expliquée par le fait qu'"on n'avait pas encore entendu la voix des principales concernées, à savoir les femmes musulmanes victimes de discrimination". Vu qu'il y a, selon une étude du sociologue Jan Hertogen en 2010, plus de 600.000 musulmans en Belgique, le texte nous ferait entendre, si l'on partage les thèses de TETE sur ces discriminations, la voix d'énormément de monde. Mais il ne porte que deux signatures, sans autre renseignement sur sa représentativité. Que représente en fait le collectif TETE ?
Suite de l'Article :
Une recherche sur Google m'a permis de trouver comme trace le blog du Collectif, et la mention d'un séminaire qu'il a organisé en 2011 . Point final. Comme activité, comme présence, c'est pour le moins maigrissime. Mais, indice, sur son blog, le collectif appelle à soutenir une mouvance que nous connaissons déjà : le "Mouvement pour les Droits Fondamentaux" (MDF). Ce mouvement avait organisé à Bruxelles, en 2009 (voir ici)
et 2010, soutenu par des mouvances de la gauche radicale, deux micro-manifestations contre l'interdiction du voile dans les écoles publiques. Depuis, il n'a pratiquement plus fait parler de lui.
J'ai lu et relu le texte du collectif TETE - et j'avoue que je me suis d'abord senti passablement en peine de polémiquer contre son propos. Pour polémiquer, il faut rencontrer des arguments contre lesquels ferrailler. Or, après avoir rappelé qu'Amnesty International a publié un rapport dénonçant les discriminations dont les musulmans sont l'objet, TETE aligne d'abord une série de vitupérations à l'égard d'une des personnes qui ont critiqué ce rapport, Mme Nadia Geerts, enseignante, auteure et opposante bien connue au port des signes religieux dans les écoles. Qui plus est, cette rafale d'épithètes est difficilement compréhensible. Que signifie "Nous refusons les discours misogynes qu’ils soient proférés par des “religieux” ou des “laïcs”."? Aucune autre phrase n'explique en quoi le discours de Nadia Geerts serait "misogyne" - et connaissant ses écrits, j'ai peine à le comprendre.
Deuxième partie : une série de propos tout aussi courtois à l'égard de Monsieur Edouard Delruelle, directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances, par ailleurs professeur à l'Université de Liège, philosophe et marxiste. Mais là, il faut s'arrêter quelque peu. Pas à cause d'arguments à proprement parler, mais à cause ... allons, tentons d'être élégant envers des gens qui ne le sont guère... à cause d'une très très grosse déformation de la vérité.
TETE écrit à Edouard Delruelle :
"Fait-il partie de vos attributions d’exposer vos convictions personnelles en supplantant ce que les textes juridiques nationaux et européens disent à ce sujet ? D’ailleurs, en 2001, Madame Deproost, directrice adjointe du Centre pour l'égalité des chances, rappelait dans un entretien accordé au journal Le Soir :
“Juridiquement, la question est tranchée : la Convention européenne des droits de l'Homme qui garantit la liberté religieuse entraîne l'impossibilité de toute interdiction de principe du port du voile.” M. Delruelle siègerait-il à la Cour européenne des Droits de l’Homme pour affirmer le contraire ?"
Fin de citation.
Le lecteur retirera de cette diatribe la conviction que le droit européen est clair : il interdit d'interdire le port du voile.
Et c'est tout à fait faux.
L'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme alinéa second précise en réalité que : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » (je souligne). La Convention considère donc de pareilles restrictions comme parfaitement légitimes.
Quant à la Cour européenne des droits de l'homme, dont TETE parle, Cour pourtant défenderesse de la liberté de religion, elle a en réalité, au contraire, débouté en 2009 deux Françaises musulmanes exclues de leur établissement scolaire parce qu'elles avaient refusé de retirer leur voile. La même Cour avait débouté en 2005 une étudiante turque exclue de la faculté de médecine d'Istanbul pour port du voile, voir par exemple ici.
La Cour a considéré que celui-ci est un "symbole d'oppression de la femme" (NB : voir commentaires) , soulignant que la manifestation d'une religion peut être restreinte afin de préserver des valeurs fondamentales.
Coran 3:61 « La malédiction de Dieu tombe sur les menteurs ».
Pour le reste du contenu, pure profession de foi, son lyrisme cache mal qu'il n'apporte pas l'ombre d'un argument nouveau (ni ancien d'ailleurs, rien que des affirmations).
Une remarque encore : le texte est présenté sous un détournement d'une affiche fameuse de la guerre 40-45, dont le texte était "We Can Do It !". Elle représente une ouvrière portant, non bien sûr un voile islamique, mais un foulard de travail, et retroussant sa manche sur son biceps. Mais le texte a été transformé en "Et mon foulard, tu sais ce qu'il te dit, mon foulard ?", et dans cette acception la femme semble désormais lancer ce geste phallique qu'on appelle un bras d'honneur (voir ci-dessus). Comparez ce style avec la "Carte Blanche" publiée dans Le Soir du 16 janvier 2004, où on lisait entre autres : "La signification profonde du port du foulard n'est pas un simple signe, il s'agit véritablement de l'expression d'une certaine forme de pudeur et d'une dignité pour ces jeunes filles, selon les références musulmanes. " Je doute fort que la gaillardise du graphique reflète une forme de pudeur et de dignité courante chez les femmes musulmanes. Je doute conséquemment fort que les personnes qui prétendent parler au nom de celles-ci en soient représentatives.
Cliquez ici pour recevoir chaque mois une liste des nouveaux articles de ce blog. Vous pouvez être prévenu/e de chaque parution en cliquant "Messages (Atom)" tout en bas de la page d'accueil.
Mots-clef :voile, islam, école, Amnesty, discrimination
6 commentaires:
Leur communiqué se trouve sur la page d'accueil du site www.tayush.com d'Henri Goldman.
Mais oui, c'est le lien que j'ai placé.
Pourriez-vous indiquer dans quel(s) arrêt(s) de 2009 la Cour européenne des droits de l'homme considère que le voile est un symbole d'oppression de la femme ? Merci d'avance.
C'est en fait dans le dossier Sahin , pas en 2009
"Dans l'un et l'autre des arrêts rendus dans l'affaire Sahin, la Cour a considéré le foulard comme un symbole d’oppression de la femme"
(DIX ANS DE LA « NOUVELLE »
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
1998-2008
BILAN ET PERSPECTIVES)
Considéré par Strasbourg comme le "symbole d'oppression de la femme", le voile ...
"C’est ce caractère inégalitaire entre les sexes qui fait que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pourtant défenderesse de la liberté de religion, a condamné des plaignantes qui souhaitaient défendre le port du voile, car considéré par Strasbourg comme le "symbole d’oppression de la femme",
http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/541805/le-voile-marqueur-sexuel.html
Je précise néanmoins, ne disposant pas des textes des décisions, qu'un correspondant écrit "j’ai parcouru une nouvelle fois ses arrêts de 2001, de 2004, de 2005 et de 2008. Sans oublier ses « décisions d’irrecevabilité » (et non ses « arrêts » de 2009). Et cette formule n’apparaît nulle part."
Enregistrer un commentaire