À titre exceptionnel et temporaire, je mets en ligne le texte complet de l'article du monde suivant, à cause de l'intérêt suscité sur Facebook par une discussion sur ce sujet, menée entre autres par des personnes qui n'avaient pas lu l'article dans son entièreté, puisqu'il était réservé aux abonnés :
Coronavirus : la revue « The Lancet » apporte des corrections à son étude sur l’hydroxychloroquine
La conclusion de l’analyse rétrospective ayant mis en évidence une
surmortalité chez les patients Covid-19 hospitalisés recevant le
traitement préconisé par Didier Raoult reste inchangée. Certains
demandent la transparence sur les données utilisées.
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C’est
l’étude qui, après une série de signaux négatifs, a fait basculer les
autorités sanitaires concernant l’efficacité et la sécurité du
traitement à l’hydroxychloroquine dans la lutte contre le Covid-19. Le
22 mai, la revue scientifique britannique The Lancet
publiait une analyse rétrospective des dossiers médicaux de
96 000 malades, qui aboutissait à la conclusion que, loin d’apporter un
bénéfice aux patients hospitalisés, la chloroquine et
l’hydroxychloroquine, combinées ou non à des antibiotiques (dont
l’azithromycine), entraînaient un risque accru d’arythmie cardiaque et
de décès à l’hôpital.
Dans
la foulée, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a suspendu
temporairement l’inclusion de patients recevant de l’hydroxychloroquine
dans son essai clinique Solidarity. En France, le gouvernement, suivant
l’avis du Haut Conseil de santé publique et de l’Agence nationale de
sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a publié un
décret abrogeant une dérogation qui avait permis l’utilisation de la
molécule dans un contexte hospitalier contre le Covid-19. Et les essais
cliniques sur l’hydroxychloroquine ont été suspendus, le temps
d’analyser les données.
L’étude du Lancet a aussitôt été passée à la loupe, et sévèrement critiquée. Vendredi 28 mai, un court erratum du Lancet
a répondu à une partie des interrogations, reconnaissant une erreur de
codage et la publication d’un tableau de données redressées en lieu et
place de données brutes. Mais sur le fond, « il n’y a pas eu de changement dans les conclusions de l’article », précise The Lancet dans ce correctif.
Ces
éclaircissements calmeront-ils les critiques ? Parmi les premiers en
France, l’ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy avait estimé
que l’étude comportait de graves incohérences méthodologiques, avant de
reconnaître qu’il l’avait pour partie mal lue. Mais certaines de ses
interrogations trouvent leur réponse dans le correctif du Lancet.
Qualifiant l’étude de « foireuse », le professeur Didier Raoult n’avait pas hésité à soupçonner ses signataires d’avoir manipulé les données, évoquant des « fake data » dans un Tweet en anglais. La version française était à peine plus mesurée : « Il
n’est pas possible qu’il y ait une telle homogénéité entre des patients
de 5 continents différents. Il y a manipulation préalable, non
mentionnée dans le matériel et méthodes, ou ces données sont faussées »,
écrivait le directeur de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille. Le correctif du Lancet penche
pour une troisième option : la publication erronée d’un tableau à la
place d’un autre. Mais l’incohérence des données avait été justement
pointée.
« Attention médiatique »
Le
fil Twitter du professeur Raoult faisait aussi état d’un écart
inexpliqué entre le nombre de patients comptés comme morts du Covid-19
en Australie dans l’étude du Lancet et un bilan moins élevé
effectué par Canberra. L’infectiologue marseillais avait pris langue
avec d’autres scientifiques critiquant la méthodologie de l’article du Lancet
et relayé jeudi une proposition de lettre ouverte à la direction de ce
journal médical, qui avait indiqué de son côté avoir demandé en urgence
des explications aux auteurs.
L’épidémiologiste James Watson (université d’Oxford), à l’origine de cette lettre ouverte, avait déjà listé, dans un post sur son blog hébergé par l’université Columbia,
une série de questions méthodologiques, éthiques. Il y reconnaissait
qu’il avait un intérêt dans l’affaire : il coordonne une étude clinique
visant à prescrire l’hydroxychloroquine de façon préventive à des
soignants. « L’étude du Lancet va inévitablement nuire à cet essai en raison de l’attention médiatique », écrit-il.
Précédant l’erratum du Lancet, une enquête du Guardian
avait déjà permis de lever une partie du mystère à propos du décompte
des morts en Australie. La différence serait due à un mauvais codage des
données, un hôpital asiatique s’étant par erreur identifié comme
australien, avait indiqué au journal Sapan Desai, coauteur de l’étude et
fondateur de l’entreprise américaine spécialisée dans les données
médicales Surgisphere. Cette société a collationné l’ensemble des
données anonymisées grâce à son vaste réseau de contacts avec des
hôpitaux dans le monde.
L’accès
au jeu de données, afin de vérifier de façon indépendante la façon dont
elles ont été analysées, est demandé par de nombreux observateurs.
Didier Raoult en venait même, vendredi 29 mai, à s’interroger sur
Surgisphere : « Nous nous posons des questions sur l’existence de l’entreprise Surgisphere, en charge de la collecte des données du Lancet.
A notre connaissance, beaucoup de démentis mais pas un seul témoignage,
ni d’un hôpital partenaire, ni d’un médecin ayant fourni des données
sur l’étude », écrivait-il alors sur Twitter.
« Ce n’est pas normal »
Le
corrigendum satisfera-t-il les observateurs, qui demandent à avoir
accès à toutes les données pour vérifier leur qualité, voire leur
réalité ? Sur son site, Surgisphere avait déjà répondu jeudi que, « comme
pour la plupart des entreprises, l’accès aux données individuelles des
hôpitaux est strictement réglementé. Nos accords d’utilisation des
données ne nous permettent pas de rendre publiques ces données ».
« Ce n’est pas normal,
regrette l’infectiologue Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bichat), qui siège
aux deux conseils scientifiques Covid-19 mis en place par le
gouvernement. On s’est beaucoup battus pour que les données
concernant l’épidémie soient disponibles. Il est important qu’il y ait
cette transparence. » Peut-être cette confidentialité a-t-elle été
instituée pour protéger les hôpitaux qui se révéleraient moins
performants dans la prise en charge des malades ? « Il devrait être
possible de rendre accessibles des données qui ne soient pas au niveau
de l’hôpital pour éviter toute stigmatisation », estime M. Yazdanpanah.
Vendredi soir, Surgisphere a publié un nouveau communiqué pour expliquer sa démarche. Face au scepticisme ambiant sur sa méthode et ses données, l’entreprise indique avoir sollicité un « audit académique indépendant »: « Ce
processus respectera des limites strictes en ce qui concerne nos
accords d’utilisation des données, entre autres considérations. Nous
procédons à un tel audit indépendant avec toute la diligence requise
tout en veillant au respect de diverses préoccupations juridiques et
réglementaires. »
Selon Yazdan Yazdanpanah, étant donné les fortes mortalités révélées par l’étude du Lancet, et au vu de la faible efficacité du médicament, également soulignée par d’autres publications, il existait « un faisceau d’arguments »
pour interrompre l’utilisation de l’hydroxychloroquine à l’hôpital. En
revanche, M. Yazdanpanah estime toujours nécessaire de poursuivre son
évaluation dans des essais cliniques randomisés contrôlés (comparant un
groupe de malades recevant le traitement et un groupe de patients
témoins comparables, constitués de façon aléatoire), si les données
tirées à ce stade de ces cohortes ne mettent pas en évidence une
toxicité manifeste.
L’essai
britannique Recovery n’a pas été suspendu pour cette raison. Les données
de Solidarity (OMS) sont en cours d’évaluation, et le comité de
sécurité de l’essai français Discovery devrait se réunir le 3 juin.
L’étude du Lancet concluait elle-même que, pour statuer sur
l’hydroxychloroquine, il était urgent de mener à leur terme des essais
randomisés contrôlés.
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