Entendons-nous : nous ne parlons pas ici de la féminisation des titres. Dire "une auteure", "une juge", "une avocate" est du bon sens et ne dérange personne (sauf peut-être quelques académiciens poussiéreux), d'autant qu'il est illogique de dire "une institutrice" tandis que diriger une université, fonction hiérarchiquement plus haute, vaut à celle qui l'exerce d'être "madame le recteur", horreur grammaticale qui heurte l'ouïe. Aucun bon sens en revanche dans l'écriture parfois dite, de façon discutable, "épicène", c à d les graphies ".e." et autres.
Celle-là m'irrite car la démarche consiste à faire de la théorie sans réfléchir aux conséquences pratiques de ce qu'on prône. Cette graphie rend les mots illisibles ; elle n'est pas née d'une évolution naturelle de la langue et son artificialité fait qu'elle n'est pas homogène : les un.e.s écrivent "exploité.e.s", les autres "exploitéEs"... Voir sur https://www.astuces-pratiques.fr/droit/le-langage-epicene l'interminable liste des graphies utilisées.
Une rédactrice féministe note qu'elle voit "Des parenthèses, des slashs, des tirets, des points médians à répétition. Ça donne des « tou•t•e•s mes ami•e•s sont allé•e•s déclarer leur amour à leur conjoint•e•s, lesquel•les ont été très réceptif•ves à ces sentiments ». C’est TRÈS lourd, je suis d’accord. Certes, ma phrase est totalement inclusive du point de vue du genre. Mais j’ai sans doute perdu une partie de mon lectorat à cette phrase.
Or, quelle est ma mission ? Je n’écris pas pour défendre mes principes, j’écris pour faire passer des idées.
Si ma mise en pratique de l’écriture inclusive me coupe d’une partie de mon lectorat parce que j’ai trop déstructuré la langue, si je complique trop la lecture, je ne suis plus en train de faire réfléchir : je suis en train d’exclure."
http://www.madmoizelle.com/ecriture-inclusive-madmoizelle-857757 .
Surtout, cette farfeluterie apparaît (sauf aux yeux du micro-cénacle qui l'a engendrée) comme le signe que ceux qui l'utilisent ne sont "pas des gens comme nous", mais des gens étranges venant d'un monde étrange où les préoccupations ne sont pas celles des gens normaux. Depuis le temps qu'on la prône, cette façon d'écrire n'a d'ailleurs conquis aucun terrain significatif dans la langue quotidienne. Elle restera ce qu'elle est : un produit de laboratoire. (L'Académie française est comique d'y voir un "péril mortel" pour la langue française). Mais elle marque un progrès de plus dans l'art de ne pas se faire comprendre (alors qu'hélas les Le Pen et compagnie savent si bien se faire entendre), et de brouiller un peu plus l'image du féminisme.
Comparons la place que cette polémique prend actuellement dans l'actualité avec la place qu'y prennent l'égalité salariale, la place des femmes dans le chômage et la précarisation, le partage des tâches, la défense du droit à l'IVG (à nouveau menacé)... Faut-il s'étonner que des jeunes femmes s'empressent de préciser dans la conversation "Je ne suis pas féministe" si les féministes leur apparaissent avant tout comme préoccupé.e.s par le "point médian" ou la lutte contre le terme "mademoiselle" (mot que j'avais banni et auquel je suis revenu face à la colère de jeunes interlocutrices).
Ah ! J'y pense ! Merci pour les personnes pour lesquelles l'apprentissage, la lecture de la langue française, sont déjà des épreuves si difficiles...
Ah ! J'y pense ! Les sociétés dont les langues sont plus unisexes que le français sont-elles moins sexistes pour autant ?
Je recommande vivement les deux articles vers lesquels j'ai mis des liens.
Retour à l'accueil
Cliquez ici pour recevoir chaque mois une liste des nouveaux articles de ce blog. Vous pouvez être prévenu/e de chaque parution en cliquant "Messages (Atom)" tout en bas de la page d'accueil.
Mots-clef :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire