Je suis consterné par les développements actuels des relations internationales.
Je suis très loin d'être le seul.
Consterné d'arriver à la conclusion que oui, désormais, une défense européenne est nécessaire.
Mais là, je me sens beaucoup moins entouré.
Je suis consterné et inquiet quand je vois abondamment, sur les réseaux sociaux, non seulement nier ce qui me paraît aujourd'hui une effrayante évidence, mais épauler cette négation par l'idée que l'invasion de l'Ukraine ne serait ni grave en soi, ni annonceuse d'autres menaces, quitte à présenter Vladimir Poutine comme victime d'une campagne de médisance... belliciste.
Je viens de parcourir un pareil argumentaire. Je tente d'y répondre ci-dessous. Si vous y lisez "Vous écrivez...", je m'adresse à l'auteur, peu importe de qui ou de quel réseau il s'agit.
*
En 1933, Einstein, dont le pacifisme était bien connu, fut
contacté pour témoigner au procès de deux objecteurs de conscience belges. Il
refusa. Stupéfaction. Einstein publia sa réponse :
- Il y a au centre un
État (l’Allemagne) qui se prépare ouvertement à la guerre par tous les moyens.
(...) Si j’étais Belge, je ne refuserais pas le service militaire dans les
circonstances actuelles, mais je voudrais au contraire l'accepter avec bonne
conscience et avec le sentiment de contribuer à la sécurisation de la civilisation
européenne.
Et il encouragea Belges et Français à se préparer à la
guerre. Il ne fut hélas pas entendu.
Car toute l'Histoire le montre : qui est faible est attaqué.
En 1914, la neutralité de la Belgique est garantie par des accords internationaux. Les troupes du Kaiser l'envahissent quand même et s'y livrent à des atrocités.
Pendant la guerre civile espagnole, les démocraties occidentales n'interviennent pas , pour ne pas aggraver les tensions internationales. L'Allemagne nazie, l'Italie fasciste, le Portugal de Salazar se précipitent, eux, pour aider militairement Franco, ses massacreurs et ses bourreaux. Le peuple espagnol va pendant 38 ans payer dans l'horreur la facture du pacifisme.
Vient le 10 mai 1940. La politique de neutralité de la Belgique avait laissé la Belgique avec une armée obsolète, démodée et une aviation sous-équipée (Wikipedia). Après 18 jours, la Belgique ne peut que capituler sans conditions. Aux Pays-Bas, avant la guerre, Conséquence du marasme économique, mais aussi d'un MOUVEMENT PACIFISTE PUISSANT (je souligne), le budget des armées reste bas et le pays reste en dehors de la course aux armements (Wikipedia). Donc, attaqués, les Pays-Bas ne peuvent que se rendre eux aussi au bout de quelques jours. 75% des juifs du pays sont exterminés par les nazis. L’appareil militaire désuet de la France, où le pacifisme était puissant vu le souvenir de 14-18, s'écroule. Huit à 10 millions de civils belges, français, luxembourgeois, terrorisés, à pied, à vélo, en charrette, se mêlent aux soldats en déroute. Les avions allemands les bombardent (sans être dérangés : le ciel est vide d’avions français de combat), faisant quelque 100.000 morts. Un mois après l'attaque, le Reich occupe Paris. Ensuite viennent la rafle du Vel’d’Hiv’ (13.152 juifs envoyés à Auschwitz), le massacre d’Oradour, la terreur et la faim. La "guerre fraîche et joyeuse", ça n'existe pas. Mais la défaite "fraîche et joyeuse" non plus.
Qui est faible sera attaqué, et
n’espérez pas trop en la diplomatie, quelle que soit son importance. La
Belgique a été envahie deux fois malgré sa neutralité, garantie par des pays
tiers. Faut-il rappeler les accords de Munich ? Chamberlain criant Peace
for our time ! alors qu'il reste deux ans avant la guerre mondiale ? En 1994, la
Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine signent les mémorandums de Budapest,
cosignés par USA, Russie et Royaume=Uni. L’Ukraine cède à la Russie 176
missiles intercontinentaux et 1500 ogives nucléaires. La Russie s’engage à
respecter la souveraineté de l’Ukraine dans ses frontières d’alors et à ne pas
utiliser la force contre Kiev. Et puis ? Elle annexe la Crimée. On négocie
interminablement pour parvenir aux accords Russie=Ukraine de Minsk 2014 et 2015.
Peu importe, en 2022, la Russie envahit l'Ukraine.
« La guerre de 40 n’a servi à rien ».
C'est ce que vous écrivez.
Malheureusement, vous n’étiez pas là pour expliquer à Hitler qu’elle n’allait
servir à rien.
Et encore, après 1925 il ne vous aurait pas écouté. Car on commençait à
s’arracher son livre « Mein Kampf », et l’ESSENTIEL en était que
l’Allemagne DEVAIT déclencher la guerre, pour « anéantir »
définitivement la France, conquérir des territoires à l’Est (« Drang nach
Osten »), réduire les peuples slaves en esclavage, éradiquer la souillure
juive de l’Europe, exterminer les handicapés et instaurer sa dictature. Cela,
c’est le cœur du nazisme. Il l’a mis en pratique. Hitler y écrit que ses buts ne seront atteints ni par des prières au Seigneur, ni par des discours,
ni par des négociations à Genève. Ils doivent l'être par une guerre
sanglante. Apparemment, ces lignes n’intéressaient pas les dirigeants
des démocraties.
L’Allemagne nazie a donc attaqué la Belgique (neutre), les Pays-Bas, la France, la Pologne, le Luxembourg, puis l’Union Soviétique (malgré le pacte qui liait les deux pays !), le Danemark et la Norvège. Les forces germano-italiennes se sont heurtées aux forces britanniques en Afrique du Nord. La Wehrmacht a fait capituler la Grèce.
J’insiste :
c’est l’Allemagne qui a attaqué ces pays, pas l’inverse, comme vos lecteurs
pourraient le croire. Curieusement, vous faites silence sur ce qu’il fallait
faire. « ♫ Crosse en l’air et rompons les rangs ♫» ? . Laisser l’Europe devenir un immense
Auschwitz ? Laisser réduite les peuples slaves en esclavage ? Laisser
interdire les partis, les élections, les syndicats, la presse autre que celle
des nazis ?
J’ai rencontré récemment un jeune handicapé qui était très content d’apprendre
à travailler dans une imprimerie. Aussi, un autiste heureux car il venait de
donner un beau concert devant une grande salle remplie. Sans la défaite du
nazisme, ils auraient été gazés à la naissance. Mais pour vous, vaincre le
nazisme « n’a servi à rien ».
Oui, la
victoire sur le nazisme a quand même servi à quelques petites choses. Par
exemple, elle a permis la survie de 3,5 millions de Juifs européens, alors que
Hitler avait promis dans un discours qu’il n’en laisserait pas survivre un seul.
Elle a sauvé d’innombrables handicapés. Elle nous permet de consulter aujourd’hui
des journaux et des media divers ; publier nos opinions ; voter pour
et être membres de divers partis ; être membres de syndicats… Toutes choses que
le nazisme victorieux aurait totalement éradiquées. Mais pour vous le vaincre
n’a « servi à rien ».
Cela dit, si les
attaqués s’étaient préparés à l'être, comme le conseillait Einstein, les
survivants auraient été bien plus nombreux et les peuples n’auraient pas subi cinq
années d’horreur, de massacres de civils et de faim. Et si les démocraties
s’étaient suffisamment armées pour décourager l’attaquant, il n’y aurait simplement
pas eu de conflit. Mais elles ont fait le contraire.
Ce qui est étrange, c’est que quand vous parlez de guerre, c’est toujours à propos des attaqués qui se défendent. Attaquer n’est apparemment pas grave. J’aurais pourtant cru que c’est l’attaquant qui déclenche le conflit.
Vous
écrivez :
La résistance militaire, ça n’existe pas.
Ah ? Les Russes, à Stalingrad, à Moscou, ont fait de la résistance
civile ? Les aviateurs britanniques tiraient des fleurs ?
Vous écrivez : L’Allemagne redevient nazillonne malgré les 60 millions de morts de 39-45 mais allons nous lui déclarer la guerre. Mais ce ne sont PAS les Alliés qui ont déclaré la guerre au 3ème Reich. C’est lui qui a attaqué !
Petit détail : ne pas se défendre, ce que vous préconisez, implique la défaite. Hélas, les défaites font des victimes. Beaucoup de victimes. Pas seulement les morts des champs de bataille. En 40, huit à dix millions de civils terrorisés fuient devant l'avance allemande, sans nourriture, sans soins, sans abri. Les avions allemands les mitraillent, faisant quelque 100.000 morts : grosso modo le double du nombre de soldats français tués au combat. La défaite, c'est aussi l'heure de la faim, sauf pour ceux qui ont accès au marché noir. Se nourrir devient obsession. Ma mère voit une pelure d'orange dépasser d'une poubelle, elle se jette dessus, pour retrouver un peu ce goût disparu depuis des années.
Autres victimes : la pensée, la vérité. L'occupation, c'est la terreur, la censure, l’arrestation si vous recourez à un média indépendant.
Vous écrivez : le premier objectif annoncé par poutine est de dénazifier et désarmer l'Ukraine.
Dénazifier ?!
Depuis 1991, nous vivons donc non loin d'un État nazi, et personne ne s'en est
jamais rendu compte avant que Poutine l'affirme ! Dans un État nazi, à ma
connaissance, il n'y a pas d'élections. Il n'y a pas de démocratie
parlementaire. Il n'y a pas d'opposition. Pas de justice indépendante. Pas de
syndicats. Il y en a en Ukraine. En revanche, dans un État nazi, il y a un
parti (le seul) nazi, omniprésent. Seul maître. Il y a des SS, des SA. Il y a des
drapeaux à croix gammée partout. Il y a surtout, surtout, des camps
d'extermination, où l'on extermine juifs, Tziganes, homosexuels, opposants... Les
camps nazis d'Ukraine doivent être bien cachés. Décidément, ces Ukrainiens sont
non seulement des nazis, mais des hypocrites.
Sauf que… La photo AFP ci-dessous a été prise lors d’une manifestation
syndicale le 30/6/2020 (Source : Politis n° 1853) devant le bureau de
Zelensky. Dans un État nazi, ces personnes auraient été mitraillées. L’article
nous apprend que toutes les organisations syndicales françaises ont créé une
intersyndicale de soutien à l’Ukraine, un soutien aux organisations syndicales
ukrainiennes et non à Zelensky (« « On n’est absolument pas dans une Zelenskymania »).
Mais… Ceci
ne nous donne-t-il pas l’idée d’un très bon combat ? Le coût de l’armement
européen risque bien sûr d’être reporté sur les prestations sociales,
l’enseignement… Lançons via nos syndicats et ceux d’autres pays une campagne
« Faites payer les armes aux super-riches ! ».
Vous écrivez : ...la france et l’angleterre quand elle ont déclaré la guerre à
l’allemagne en 1939. Oh ! Les sales bellicistes ! Détail : la France et
l'Angleterre avaient cédé à toutes les exigences allemandes à Münich, en 1938,
dans l'espoir d'éviter la guerre par cette trahison. Après quoi l'Allemagne a
attaqué la Pologne (malgré un pacte de non-agression) et rejeté l'ultimatum
lancé par France et Grande-Bretagne à Hitler pour qu'il en retire ses troupes.
De plus, la France était garante de l'intégrité territoriale de la Pologne et
l'avait rappelé à Berlin. La guerre a donc bien été déclenchée, volontairement,
par l'Allemagne nazie, en toute conscience des conséquences. La faible armée
polonaise a été rapidement écrasée. Ensuite l'Allemagne a envahi le Danemark,
qui n'avait pas d'armée, et la Norvège, rapidement défaite, puis les Pays-Bas,
la Belgique, le Luxembourg et la France, avant l’URSS. J’ai 77 ans, c’est la
première fois que je dois rappeler à quelqu’un que c’est Hitler, pas ses victimes, qui a déclenché
la « guerre sanglante » qu’il appelait, par écrit, de ses vœux.
Pour vous, quand de Gaulle lance l’appel du 18 juin, c’est lui le belliciste.
De même que Churchill avec « Blood, sweat and tears ». L’ennui, c’est
qu’en pratique, l’alternative à de Gaulle était Pétain – du moins jusqu’à ce
que les nazis s’en débarrassent -.
Vous faites
mine de vous inquiéter des progrès de l’AFD, extrême-droite allemande.
Pourquoi ? L’AFD est très proche de la Russie qui le lui rend bien, la
presse allemande détaille ces excellentes relations, y compris financières.
Quand Zelensky parle au Bundestag, l’AFD boycotte la séance. Vance, qui a été
encore plus grossier avec Zelensky que Trump, soutient énergiquement l’AFD. Ce qui est
curieux, c'est de voir sur ce dossier un certain pacifisme s'aligner sur
l'extrême-droite - bien connue pour son pacifisme -.
Vous écrivez : il faut être complètement dérangé pour croire que la Russie va envahir l'Europe. Elle n'en a ni l'envie ni les moyens. La question n'est bien sûr pas : La Russie va-t-elle envahir d’un coup toute l'Europe ? mais Après l'Ukraine, à quel pays le tour ?. Question qui a poussé la Suède et la Finlande à rejoindre l'OTAN. On les comprend. Cela dit, il n'y a pas longtemps, Poutine s'est vanté de ce que ses missiles pouvaient attendre Paris en quelques secondes. Et certains drones militaires ont une portée dépassant les 20.000 kms.
Vous écrivez :
La réponse au fascisme n’est pas la guerre : c’est
la justice sociale ! . Vous avez
raison ! Quand les fascistes brûlaient Guernica avec ses habitants, quand Hitler entrait
dans Paris, quand les trains roulaient des pays occupés vers Auschwitz, quand
Oradour brûlait avec ses habitants, quand des centaines de milliers d'ouvriers étaient forcés d’aller travailler en Allemagne, quand les V2
tombaient sur Londres, oui, il aurait suffi d’instaurer la justice sociale –
c’était pourtant facile ! -.
Vous écrivez :
La résistance civile et individuelle (même armée) à la guerre n’est pas
la guerre ! C’est de la légitime défense tout simplement. Bravo !
Donc on a le droit de se défendre – mais individuellement -, mais sans arme, ou avec des armes
récoltées, euh… comment ? - contre une machine de guerre faite de millions
d’hommes surentraînés ! On part gagnant !
Vers l'horreur.
In Memoriam :
Pavel Grigorievitch Cheremet journaliste biélorusse et russe mort assassiné le 20 juillet 2016.
Natalia Estemirova journaliste et militante russe des droits de l'homme, enlevée et assassinée le 15 juillet 2009.
Anna Politkovskaïa, journaliste russe, militante des droits de l'homme, assassinée le 7 octobre 2006.
Alexei Navalny, avocat, mort incarcéré au centre pénitentiaire de Kharp le 16 février 2024.
Vladimir Kara-Murza, journaliste, prix Pulitzer, condamné à 25 ans de colonie pénitentiaire pour « haute trahison », ayant critiqué l'"opération spéciale".
Mikhaïl Beketov, reporter dénonçant e. a. la corruption, mort en 2009 des suites d'une agression.
Sergueï Iouchenkov, assassiné le 17 avril 2003 après avoir enregistré un parti pour les élections législatives.
Stanislas Markelov, défenseur des Droits Humains, assassiné 19 janvier 2009.
Anastassia Babourova, étudiante et journaliste enquêtant sur les groupes néo-nazis, assassinée le même jour.
Et encore
Paul Klebnikov, 41 ans, tué le 9 juillet 2004
Boris Nemtsov 27 février 2015
Boris Beresowsky 23 mars 2013
Sergei Magnitski 16 novembre 2099
Stanislav Markelov 19 janvier 2009
Alexandre Litvineko 23 novembre 2006
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