dimanche 8 novembre 2009

Musulmans D'Europe : Au Delà Des Clichés.


"Ne repousse pas un étranger pour son étrangeté. Le temps le repousse déjà, par l'humiliation et les épreuves". (Zayn Al-Aabidin Ali ibn Al-Hussayn ibn Ali ibn Abi Talib)

"Pendant ce temps et au moment où l'islamisme perd du terrain dans des pays comme l'Algérie, il progresse inexorablement en Occident, broyant, petit à petit, sur son chemin, les certitudes et les acquis sur lesquels reposaient jusque là la démocratie occidentale".
J'ai pris cet argument dans la figure, sur une page d'un forum - où je me suis pratiquement fait traiter de suppôt des islamistes - (1). Cette logorrhée dramatique traduit un sentiment répandu, et faux même s'il s'appuie au départ sur des faits.

La Suite de l'Article

Il est indéniable que, dans mon quartier de Bruxelles comme dans bien d'autres, on a vu ces dernières années fleurir bien plus qu'avant les foulards et les ensembles foulard-djellaba ou les jilbabs, qui enserrent pratiquement tout le corps. Même floraison pour les tenues masculines, djellabas, bonnet, barbes fluviales qui ont fait leur apparition rue Malibran où ils étaient inconnus (ils m'y semblent depuis peu en recul). Et ceci n'est que l'expression vestimentaire d'une poussée intégriste et communautariste indéniable ... qui inquiète d'ailleurs certains musulmans. Cette poussée trouve son meilleur terreau dans les quartiers les moins favorisés, comme en France dans les banlieues où, comme dit la québecoise d'origine algérienne Djemila Benhabib, la République ne joue plus son rôle et où les populations sont abandonnées. Là, des prêcheurs et ceux qui les suivent sont prêts à tout ce qu'ils estimeront nécessaire pour parvenir à une islamisation de la société. Il est idiot de le nier, et nécessaire d'y faire face. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps, et les islamistes ne font pas la masse des musulmans.

La Fin Des Angoisses ?

Une enquête Gallup, menée à Paris, Londres et Berlin, donne des résultats qui devraient calmer les grandes angoisses que cultivent amoureusement les islamophobes. Elle montre en effet une grande adhésion de la majorité des musulmans d'Europe (une vingtaine de millions de personnes) aux valeurs de leur société d'accueil. "Si la religion demeure une part importante de leur identité, les musulmans résidant à Londres, Paris et Berlin s'identifient également fortement au pays dans lequel ils vivent. De plus, une forte majorité, et de musulmans vivant dans ces trois villes, et des populations en général de Frrance, du Royaume-Uni et d'Allemagne, préfèreraient vivre dans des voisinages diversifiées aux points de vue ethnique et religieux", trouve-t-on dans le résumé de l'étude.
La religion reste une part importante de leur vie quotidienne : ils sont 68 % (Paris), 85% (Berlin), 88% (Londres) à le déclarer. Seuls 23% de la population dans son ensemble déclarent la même chose en France, 41% en Allemagne, 36 au Royaume-Uni. Cela n'empêche pas les musulmans de se déclarer attachés à leur pays dans la même proportion que les autres citoyens - et un peu plus en Grande-Bretagne -.

Terrorisme ? 82 % des musulmans français et 91 % des musulmans allemands réprouvent des attaques contre des civils. De plus, dire "les musulmans" est travailler à la grosse louche, si grosse qu'elle cesse d'être utile. Par exemple, les résultats montrent des différences entre les réponses récoltées à Paris (habitat concentré des populations venues d'Afrique du Nord) et celles données à Berlin (habitat plus éparpillé dans la ville).

Et ... Et... Mais oui, le voile ??? Malgré les efforts des intégristes et les obsessions des islamophobes, sa popularité serait en baisse. Seules 18% des jeunes musulmanes allemandes le porteraient encore, par exemple.
La perception des musulmans par les non-musulmans recèle aussi quelques surprises. 64% des Français, selon l'enquête, estiment que les musulmans ont intérêt à abandonner le port du foulard s'ils veulent faciliter leur intégration dans la société, mais 54 % estiment la même chose à propos du port d'insignes religieux ostentatoires chrétiens - qui parlerait pour autant de "christianophobie" ? - .
Reste à s'entendre sur ce qu'on entend par "intégration". Du côté musulman, elle se juge surtout à l'aune de critères sociaux et économiques : logement, emploi, accès à l'éducation, des domaines où les sociétés d'accueil n'ont pas à se vanter ; les non-musulmans accordent plus d'importance à des questions de moeurs : homosexualité, virginité.... Enfin, l'étude conclut que de part et d'autre, musulmans et non-musulmans, on souhaite un dialogue et plus d'implication des musulmans dans la vie politique (opinion néanmoins minoritaire chez les non-musulmans d'Allemagne)

Si cette enquête date de 2007 (elle a porté sur quelque 4.800 personnes), le journal britannique The Observer s'en est largement servi pour étayer un article récent sur l'intégration des musulmans en Europe, paru en juillet 2009. On y trouve également des opinions intéressantes, par exemple sur notre Molenbeek, celle selon laquelle l'influence islamiste y serait en baisse. Selon un responsable néerlandais de la lutte contre le terrorisme, les groupes radicaux auraient également perdu de leur aura aux Pays-Bas. Ou cette citation d'Alain Bauer, criminologue et conseiller en sécurité de Nicolas Sarkozy : “Nous estimons qu'environ 10 % de notre population musulmane est dans une dynamique de rejet de l'Occident et de l'Europe, que 10 % sont plus européens que les Européens, et que les 80 % restants sont entre les deux et s'occupent simplement de vivre”. Ou cette remarque d'un conseiller municipal néerlandais : "Qu'est-ce qu'un musulman européen ? Un berbère de seconde génération, aux parents venus du Maroc et qui tient un magasin à Paris, a-t-il beaucoup en commun avec une Iranienne chiite, médecin au Danemark, ou avec un étudiant britannique venu du Pakistan, ou avec un Turc allemand qui chante dans un night-club ?"

"Musulman" ? Mais Encore ?

Un mot sur la démographie, puisqu'elle donne des cauchemars à certains qui voient par exemple Bruxelles devenir une capitale musulmane. Il est certain que les immigrations amènent un renouveau démographique dans des pays où le taux de natalité est bas (ce dont on se plaint souvent). Mais le temps joue son rôle, les chiffres de la natalité dans les pays à majorité musulmane sont en baisse et s'alignent en Algérie, au Maroc, en Yunisie ou en Turquie sur les chiffres occidentaux. Cette évolution sera semblable chez les musulmans d'Occident à mesure de l'intégration et de la hausse du niveau culturel et économique (que ceux qui craignent l'influence de l'islam devraient donc appeler de leurs voeux les plus sincères). Selon le politologue français Emmanuel Todd et le démographe Youssef Courbage ("Le rendez-vous des civilisations"), les pays musulmans sont passés d'une moyenne de 6,8 enfants par femmes en 1990 à 3,7 enfants seulement aujourd'hui. Déjà, au Pays-Bas, chez les femmes d'origine turque, le taux de natalité est passé de 3.2 enfants par mère à 1.9, et chez les femmes d'origine marocaine, de 4.9 à 2.9, ceci entre 1990 et 2005. De plus, les flux migratoires vers Bruxelles (et ailleurs en Europe Occidentale) ont évolué, Polonais, Roumains, Bulgares, Russes, latinos ... ne sont pas musulmans.
En tout cas, la tendance à l'intégration ressort de ces enquêtes comme le courant dominant. C'est le sort commun des immigrations - ce qui n'empêche pas que le rôle centrifuge des courants islamistes est une réalité -. Mais par exemple le bureau des statistiques des Pays-Bas relève que les immigrés de deuxième génération y sont plus proches des normes et des comportements dominants que leurs parents. Reste une question : quelle est la part des jeunes - troisième génération - qui suit et prolonge cette évolution, et celle qui en diverge, dans par exemple ce qu'un chercheur français appelle "une identité franco-arabe-magrhrébine complexe née d'un conflit de deux langues, de deux cultures, de deux mondes" (2) . La tendance à l'intégration doit être connue, elle ne doit pas devenir un prétexte pour rester purement contemplatif devant les interactions entre immigrations et sociétés d'accueil.

(1) "Votre attitude est déterminée essentiellement par la peur d’attirer les foudres des fous de Dieu que vous subissez déjà". Je m'émerveille devant mon ubiquité politique et sociale, puisque je suis à la fois islamophobe et raciste (car je souhaite une loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l'école) et carpette des islamistes (puisque je ne crois pas que, malgré les problèmes réels, l'islam soit sur le point de broyer les valeurs - positives, ce qu'elles ne sont pas toutes - des sociétés occidentales). Je suis également antisémite (je soutiens le boycott des produits israéliens) et youpin vu mes origines paternelles. Mais non-juif aux yeux des juifs puisque ma mère ne provenait pas d'une famille juive. Et à mes yeux puisque, tout comme feu mon père, je ne suis pas pratiquant.

(2 ) Il reprend une typologie due à un autre chercheur, Nassira Merabti, qui distingue :
- un groupe "assimilation" : ses membres ont voulu être plus intégrés dans la société d'accueil que ne l'étaient leurs parents, trop marqués par les traditions de leur pays d'origine ;
- un groupe "déchirement entre plusieurs modèles", celui du pays d'origine et celui, plus séduisant, aux valeurs plus modernes et plus démocratiques, de la société française ; ces jeunes vont s'acculturer et se dresser contre les valeurs du pays d'origine ;
- au contraire, un troisième groupe revendique son identité originaire, culturelle et sociale ;
- ce qui culmine dans un quatrième groupe, "refus du système dominant et la réaffirmation de l'identité des parents".

Sources :
Résumé de l'enquête Gallup (je ne dispose pas de la version complète ni des moyens de me l'offrir).
L'article de l'Observer
Traduction partielle de l'article.
Etude sur les pratiques langagières des jeunes issus de l'immigration maghrébine

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Mots-clef : islam, musulman, islamophobie, Europe, démographie, intégration.

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