vendredi 27 novembre 2009
Environnement : Le Retour De La Bombe Démographique ?
C'est nouveau, ça vient de sortir. Jusqu'à présent, quand on parlait "réchauffement climatique", "effet de serre", on pensait plutôt à "industries polluantes", "CO2", "automobile", "transport injustifié par avion", "consommation de pétrole", "exploitation de ressources épuisables", "emballages plastiques multiples et inutiles", "déforestation pour exportation"... Il faut à toute allure réorienter l'argumentaire. C'est en tout cas l'avis qu'une des branches de l'ONU vient de publier, à la veille de la conférence de Copenhague sur le climat. Je cite le journal Le Monde : "Il faut d'urgence aider les femmes à faire moins d'enfants pour lutter contre le péril climatique : c'est le message martelé par le rapport 2009 du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa), publié mercredi 18 novembre, selon lequel la natalité galopante des pays en développement est l'un des principaux moteurs du réchauffement et l'un de ses premiers risques". Le journal ne marque pas pour cette thèse, guère entendue jusqu'à présent, un enthousiasme délirant : "les démographes conviennent aujourd'hui, après l'alarmisme des années 1960, que la population mondiale va se stabiliser en douceur à plus ou moins 9 milliards en 2050 – contre 6,8 milliards aujourd'hui – ." N'empêche, argumente le Fonds, "les pays en développement connaissent une croissance rapide et très émettrice en carbone", investir "dans la planification familiale et l'éducation des filles" réduira les émissions de gaz à effet de serre.
La Suite De l'Article :
En 1994, au Caire, une Conférence internationale sur la population et le développement avait fixé au monde des objectifs de planification des naissances. On en est toujours loin. Pourtant, c'est clair, là où le niveau d'éducation et le niveau de vie augmentent, la fécondité moyenne diminue. L'ennui, c'est que le niveau d'éducation et le niveau de vie sont loin d'augmenter dans tous les pays dits - parfois à tort - en voie de développement. L'austérité imposée par le FMI et la Banque Mondiale a ratiboisé bien des programmes d'éducation, et les Etats-Unis, poids de la religion oblige, ont sabré dans leur aide à la planification familiale. L'aide à celle-ci par des pays donateurs du Fonds a perdu la moitié environ de ses budgets en une douzaine d'années. Le Fonds espère profiter de la conférence de Copenhague pour faire admettre cette planification parmi les priorités environnementales.
La sensibilité à la question démographique est hautement variable selon les époques et les convictions. Dans les années 60 et 70, on contemplait avec horreur le développement des populations chinoise ou indienne, on s'arrachait un livre intitulé "The Population Bomb" (Paul Ehrlich). Des Tiers-Mondistes réagirent en dénonçant cet égoïsme des nantis qui voulaient juguler la saine natalité de populations que ces tiers-mondistes voyaient révolutionnaires par essence. La Chine maoïste du Grand Bond en Avant misait sur des centaines de millions de bras, armés d'idéologie et d'outils rudimentaires, pour construire l'industrie socialiste. Dans cette optique, la pilule figurait tout autant que la bombe atomique dans l'arsenal impérialiste. Cette vision s'effondra avec le maoïsme, et en 82 la planification des naissances fit son entrée dans la Constitution chinoise, une planification parfois imposée de façon très rude, sanctions lourdes à la clef.
Déjà dans les années 70, lors d'un reportage, des démographes m'avaient confié que les cris d'alarme : "Gare à la surnatalité dans le Tiers-Monde et à la dénatalité chez nous ! " leur paraissaient exagérés. N'empêche qu'il ne faut sans doute pas tomber de l'autre côté du cheval, et que, pollution ou pas, l'indifférence à l'arrivée de deux milliards et demi d'humains supplémentaires serait une attitude assez légère. Mais croire qu'en réduisant la natalité, on réduira d'autant la pollution, c'est sans doute aussi naïf que de dire : "Si on ferme tous le robinet en brossant nos dents, le problème de l'eau sera résolu". En fait, la fabrication d'une seule automobile engloutit entre 10.000 et 30.000 litres d'eau, donc fermons le robinet, mais ne nous voyons pas en sauveurs de la Terre pour autant. Exemple ce commentaire sympa mais naïf pêché sur une page Web : "Pour nourrir 3 milliards d'hommes et de femmes en plus quelle surface d'espace naturel faudra t-il encore détruire pour cultiver et pour habiter ? " Si des ressources ont été massacrées dans des pays en développement, c'est souvent pour tout autre chose que pour nourrir les populations locales. Par exemple, d'immenses étendues du nordeste brésilien, sur lesquelles poussaient jadis des cultures vivrières, ont été consacrées à la culture du sucre, pour donner du goût aux limonades et aux gâteaux qui carient les dents des petits Nord-Américains. Robert Linhardt écrivit : «L'agriculture ne sert plus à nourrir les populations, mais à produire des devises.»
La Faute Aux Pauvres ?
L'essayiste britannique George Monbiot réagit dans un article publié à l'origine dans le Guardian, article libre de droits. Je ne vais pas tenter de vérifier point par point ses thèses, mais cette page a le mérite d'être immensément roborative. Dégustez.
Ce n’est pas la démographie des pauvres mais la consommation des super-riches qui menace la planète.
Ce n’est pas un hasard si la plupart de ceux qui sont obsédés par la croissance de la population mondiale sont de riches hommes blancs, trop âgés pour se reproduire : il s’agit de la seule question environnementale dont ils ne peuvent être tenus responsables. Le brillant scientifique spécialiste des systèmes de la Terre James Lovelock a ainsi affirmé le mois dernier que « ceux qui ne parviennent pas à comprendre que la croissance démographique et le changement climatique sont les deux faces de la même pièce de monnaie sont soit ignorants, soit refusent de voir la vérité. Ces deux énormes problèmes environnementaux sont inséparables et il est irrationnel de discuter de l’un tout en ignorant l’autre. » Mais en l’occurrence, c’est Lovelock qui se montre ignorant et irrationnel.
Une étude publiée hier dans le journal Environment and Urbanization montre que les régions où la population a augmenté le plus rapidement sont celles où les émissions de dioxyde de carbone se sont élevées le plus lentement, et inversement. De 1980 à 2005, l’Afrique sub-saharienne est à l’origine de 18,5 % de la croissance de la population mondiale et seulement de 2,4 % de l’augmentation des émissions de CO2. L’Amérique du Nord ne représente que 4 % des nouvelles naissances, mais 14 % des émissions supplémentaires. Soixante-trois pourcent de la croissance démographique mondiale a lieu dans des régions où les émissions de CO2 sont très basses.
Mais ces faits bruts ne décrivent pas entièrement la situation. Cette étude indique que le sixième de la population mondiale est si pauvre que ses émissions ne sont absolument pas significatives. Tout en étant le groupe dont la croissance est apparemment la plus élevée. Les ménages en Inde qui gagnent moins de 3000 roupies par mois (43 € - 66 CHF) consomment par tête un cinquième de l’électricité et un septième du carburant utilisés par un ménage ayant un revenu de 30 000 roupies ou plus. Ceux qui dorment dans la rue ne consomment presque rien. Ceux qui vivent en fouillant les ordures (une part importante des citadins déshérités) ont le plus souvent un solde négatif d’émission de gaz à effet de serre.
De plus, une bonne part des émissions pour lesquelles les pays pauvres sont tenus responsables devraient en toute justice être attribuée aux nations développées. Par exemple, les torchères des compagnies pétrolières exportatrices du Nigéria ont produit plus de gaz à effet de serre que toutes les autres sources de l’Afrique sub-saharienne réunies. La déforestation dans les pays pauvres est principalement causée par l’exploitation commerciale du bois, de la viande et des aliments pour animaux destinés aux consommateurs des pays riches. Les paysans pauvres font bien moins de dégâts.
David Satterthwaite, l’auteur de cette étude, souligne que la vieille formule enseignée aux étudiants en développement, selon laquelle l’impact total (sur l’environnement) est égal à la population multipliée par la richesse et la technologie (I=PRT) est fausse. L’impact total doit être mesuré ainsi : Consommateurs x Richesse x Technologie. La majorité de la population mondiale consomme si peu qu’elle ne figure même pas dans cette équation. Et c’est elle qui a le plus d’enfants.
Alors qu’il n’y a qu’une très faible corrélation entre réchauffement global et croissance démographique, il y a par contre une forte corrélation entre réchauffement global et richesse. J’ai récemment jeté un coup d’½il sur quelques super-yachts, du style de ceux auxquels sont habitués les ministres travaillistes. J’ai d’abord parcouru les spécifications du Royal Falcon Fleet’s RFF 135, mais lorsque j’ai découvert qu’il ne consommait que 750 l. de fioul par heure, j’ai réalisé que ça n’allait pas impressionner Lord Mandelson. L’Overmarine Mangusta 105, qui pompe ses 850 l. à l’heure ne surprendrait guère à Brighton. Mais le rafiot qui a vraiment retenu mon attention est construit par Wally Yachts à Monaco. Le WallyPower 118 (qui confère aux imbéciles finis un sentiment de puissance [ En argot anglais, wally signifie imbécile - ndt ] ) consomme 3 400 l. à l’heure lorsqu’il file à 60 noeuds. Ce n’est pas loin d’un litre par seconde. Ou mesuré autrement, 31 litres au kilomètre.
Bien sûr, pour faire un vrai tabac, je devrais m’offrir du teck et des accessoires en acajou de mahogany, y ajouter quelques jet skis, ainsi qu’un mini sous-marin, transporter mes invités au port en jet privé et en hélicoptère, leur offrir des sushis de thon rouge et du caviar beluga, et pousser le monstre si rapidement que je hacherais menu au moins la moitié des espèces méditerranéennes. En tant que propriétaire d’un de ces yachts, je provoquerais plus de dégât à la biosphère en 10 minutes que la plupart des Africains ne peuvent le faire au long de toute une vie. Là, ça chauffe vraiment, bébé...
L’une de mes relations qui fréquente les gens très riches me dit que dans la banlieue des banquiers, la lower Thames valley, certaines piscines extérieures sont chauffées à une température suffisante pour s’y baigner toute l’année. Les propriétaires adorent plonger dans leur piscine durant les nuits d’hiver et regarder les étoiles. Le chauffage leur coûte 3200 € (4 900 CHF) par mois. Cent mille personnes vivant comme ces banquiers épuiseraient les écosystèmes indispensables à la vie plus rapidement que 10 milliards de personnes vivant comme les paysans africains. Mais au moins, les hyper-nantis ont l’exquise attitude de ne pas se reproduire beaucoup, ainsi les vieux riches qui dénoncent la croissance démographique les laissent tranquilles.
En mai, le Sunday Times publiait un article titré : « Un club de milliardaires annonce qu’il veut réduire la surpopulation. » Il révélait que « plusieurs éminents milliardaires américains se sont rencontrés secrètement » afin de décider quelle bonne cause ils devraient défendre. « Un consensus a émergé, consistant à soutenir une stratégie s’attaquant à la croissance démographique, dénoncée en tant que menace environnementale, sociale et industrielle potentiellement désastreuse. » En d’autres termes, les ultra-riches ont décidé que ce sont les très pauvres qui polluent la planète. On peine à trouver une métaphore. C’est au-delà de la caricature.
James Lovelock, comme Sir David Attenborough et Jonathan Porritt, est l’un des soutiens du Optimum Population Trust. Ce n’est qu’une des campagnes et des organisations caritatives parmi des douzaines dont le seul but est de décourager les gens d’avoir des enfants au nom du sauvetage de la biosphère. Mais je n’ai pas réussi à trouver une seule fondation dont le seul objectif soit de s’occuper des impacts sur l’environnement des très riches.
Les tatillons pourraient argumenter que ceux qui procréent rapidement aujourd’hui pourraient s’enrichir dans le futur. Mais, alors que les hyper-nantis s’approprient une part toujours croissante et que les ressources commencent à se tarir, cette perspective, pour la plupart des très pauvres, est de plus en plus illusoire. Il y a de fortes raisons sociales pour aider les peuples à maîtriser leur démographie, mais pas du point de vue environnemental - sauf pour les populations plus aisées.
L’Optimum Population Trust ignore le fait que le monde se dirige vers une transition démographique : le taux de croissance ralentit presque partout, et selon un article publié par Nature, la population va vraisemblablement atteindre un pic au cours de ce siècle, probablement à 10 milliards. La majeure partie de cette croissance aura lieu dans des populations qui ne consomment presque rien.
Mais personne ne prévoit une évolution de la consommation. Les gens ont moins d’enfants à mesure qu’ils s’enrichissent, mais ils ne consomment pas moins - ils consomment plus. Comme le montre le mode de vie des super-riches, il n’y a pas de limite à la recherche du luxe chez l’homme. On peut s’attendre à ce que la consommation se développe parallèlement à la croissance économique jusqu’à ce que les compteurs de la biosphère atteignent la butée. Quiconque comprend cela et considère néanmoins que la population, et non pas la consommation, pose le principal problème « ne veut pas », selon les mots de Lovelock, « voir la vérité ». C’est la pire forme de paternalisme, qui accuse les pauvres des dégâts occasionnés par les riches.
Où sont donc les mouvements manifestant contre ceux qui sont pourris de fric et détruisent nos écosystèmes ? Où sont les actions menées contre les super-yachts et les jets privés ? Où donc est la Lutte de Classes quand on en a besoin ?
C’est le moment d’avoir les tripes d’appeler un chat un chat. Ce n’est pas le sexe le problème, c’est l’argent. Ce ne sont pas les pauvres le problème, ce sont les riches.
Publication originale The Guardian, 28/9/09, traduction aimablement communiquée par Igor Milhit.
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Mots-clef : environnement, démographie, pollution, population, richesse, pauvreté, Chine
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1 commentaire:
un très grand merci pour ce texte très éclairant et édifiant. il donne aussi de l'eau à mon moulin pour de futures prises de becs avec des serviteurs de nantis (les pires!).
bonne continuation
Lala
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