Tremblez, bonnes gens : la finance islamique va débarquer en Belgique !
On l'attend encore, mais la panique qu'elle provoque chez certains, elle, est déjà bien tangible à lire certaines réactions sur Facebook - y compris celle d'une dame qui affirme du coup qu'on va bientôt la forcer à porter le voile intégral, ce qui témoigne d'une grande imagination.
Rappel (car nous en avons déjà parlé): qu'est-ce que la finance islamique ? C'est un mode de fonctionnement dans lequel, conformément au Coran, les établissements bancaires s'abstiennent de tout prêt à intérêt : celui-ci est, quel que soit le taux, assimilé à l'usure. Si un entrepreneur a besoin d'argent, la banque qui décide de lui prêter prendra, pour s'assurer un bénéfice, une participation dans son entreprise. Si celle-ci ne gagne pas d'argent, la banque n'en gagnera pas non plus. Sont également interdits toute spéculation, et les investissements dans le jeu, l'alcool, la pornographie, l'élevage de porcs... Bien sûr, comme disait Tartuffe, on trouve avec le Ciel des accomodements, et certaines institutions contournent quelque peu l'interdiction de l'intérêt. Certains affirment qu'un retour aux sources s'impose, sous peine de s'éloigner dangereusement des fondamentaux.
Vous en apprendrez plus via Le Monde des Religions. On y lit entre autres que l'idée d' "assimiler les progrès de la finance islamique à l'introduction de la "charia" dans le code civil, est tout bonnement insensée. (...) Aujourd'hui très présente en Egypte, dans les pays du Golfe et en Malaisie, elle est utilisé pour son efficacité et non pour son fond religieux. Ni le vendeur ni l'acheteur n'ont besoin d'être musulmans ; aussi l'usage de la finance islamique peut-il être coupé de toute spiritualité".
Un système bancaire dans lequel la spéculation est interdite, cela nous paraît difficile à imaginer vu l'orgie spéculative dont nous n'avons pas fini de payer l'horrible ardoise. Si pareil système était imité partout, nous n'aurions pas connu la crise des subprimes, 6 à 8 millions d'Etats-Uniens et pas mal d'Européens n'auraient pas perdu leur logement, et les mots "titrisation" ou "austérité" n'auraient pas gagné leur place actuelle au hit-parade. Madame Lagarde, quand elle était ministre de l'Economie, appelait de ses voeux le développement de la finance islamique en France (l'UMP, le parti de cette dame, était peu susceptible de sympathie envers la charia...), ce qui devient à petits pas une réalité. En Grande-Bretagne, ce système a pignon sur rue depuis le milieu des années 2000 et se développe.
Et en Belgique ?
Un compte courant et une forme, inhabituelle pour nous, de prêt hypothécaire sont prévus pour 2013. Mais le ministre bruxellois de l'Economie Benoît Cerexhe (CDH) voit plus loin. Pour lui, ouvrir la capitale à la finance islamique permettrait de mobiliser des capitaux pour des investissements, ce dont la ville-région aurait grand besoin.
L'article a provoqué des réactions, sous forme parfois de levée de boucliers, parfois d'interrogations plus compréhensibles, comme on en trouve dans les commentaires d'Alain Destexhe. Parfois les arguments sont spécieux : accepter des contacts avec des établissements islamiques serait rompre la neutralité des pouvoirs publics. Mais les mêmes pouvoirs publics se réjouissent actuellement à cor et à cris d'avoir favorisé des investissements chinois importants en Belgique. Vu l'imbrication entre capital et pouvoir d'Etat en Chine, on peut constater que la "neutralité des pouvoirs publics" est fort indifférente à la dictature qui pèse sur ce pays. Et où reste cette neutralité quand on tente d'attirer des investisseurs Etats-uniens, alors que ces entreprises ont pour tradition de soutenir l'un ou l'autre des deux grands partis du pays ? Alors que ces entreprises prennent parti, au nom de valeurs morales et religieuses sur des questions éthiques ?
Le Coran, la finance et l'ordinateur :
La Libre, parfois mieux inspirée, a publié une tribune particulièrement confusionniste. Epinglons-en un point : "Qu’arrivera-t-il lorsque les intérêts religieux et économiques du monde musulman se conjugueront pour utiliser le halal comme un moyen efficace de contrôler la communauté musulmane. Et de s’assurer l’accès et la protection d’un immense marché de produits de consommation. La tentation sera grande de décréter que seuls les produits issus d’une entreprise financée par des produits bancaires halal peuvent être consommés."
Essayons d'imaginer ceci en pratique. Un musulman veut s'acheter un ordinateur. Comment pourrait-il s'assurer que "seuls les produits issus d’une entreprise financée par des produits bancaires halal" y entreraient ? Premier choix à opérer : Windows ou MacOs ? Les religieux chargés du contrôle devraient donc devoir vérifier que toutes les transactions opérées par Microsoft et Apple passent par des institutions halal. Je doute fort que ces deux géants se prêtent à une inspection en règle de toutes leurs sources de financement. Passons aux composants matériels et périphériques de la machine : alimentation, boîtier, carte mère, processeur, ventilateur, divers types de mémoires, câbles, disque dur, lecteur/graveur CD/DVD, carte graphique, carte son, connecteurs réseau, ports USB, écran, clavier, imprimante etc.. Chacun de ces composants est à son tour fait de composants. A elle seule, une carte mère peut abriter une horloge, une mémoire, divers circuits et un nombre impressionnant de connecteurs, "bus", chipsets, dont je vous passe l'énumération. Ceux-ci sont fournis au constructeur de la carte mère par des entreprises tierces. N'oublions pas les logiciels : l'indispensable BIOS (Basic Input Output System), les pilotes (chargés des rapports avec les périphériques), les divers programmes fournis avec l'ordinateur... Ces composants ont souvent leurs propres fabricants, dont il faudrait découvrir les financiers et les soumettre à enquête ! Ce n'est pas tout, n'oublions pas les matières premières : par exemple, les divers éléments en plastique proviennent de diverses firmes de pétrochimie, elles-mêmes s'approvisionnant auprès de pétroliers... Autant d'entreprises dont il faudrait vérifier les sources de financement ! Et cela pour tous les modèles entre lesquels on hésite ! Enquête à renouveler à chaque sortie d'un nouveau modèle, puisque les fournisseurs de tous ces composants ont peut-être changé d'un modèle à l'autre. Idem pour une voiture, une télévision, une maison ... Certains musulmans, confrontés à des règles datant du 7è siècle, remplissent déjà des pages de forums à tenter de savoir si tel médicament, aliment, parfum, est composé uniquement, dans toute sa filière, de produits halal, ou si la proportion d'alcool, ou d'extrait d'un animal non abattu rituellement, le rend haram ou halal ! Ceci pour obtenir... des avis divergents.
Pour que la crainte émise par l'auteur de la tribune se réalise, il faudrait des années d'enquête à une armada de contrôleurs pour chaque modéle d'ordinateur, de voiture, chaque plan de maison etc. Cela me paraît totalement irréalisable. Mais des milliers de lecteurs vont prendre au mot la prophétie de l'article.
Cela dit, j'aimerais quand même savoir combien, parmi les personnes qui pâlissent au nom de finance islamique, ont vérifié que leur banque n'avait pas, par l'intermédiaire du moindre fonds, quoi que ce soit à voir avec le commerce des armes, les faiseurs de marée noire, les licencieurs en gros, le jeu, la pornographie et les paradis off-shore alors que « 55 % du commerce international ou 35 % des flux financiers transitent par les paradis fiscaux » ( l'avocat fiscaliste Edouard Chambost, "La Tribune", 16/10/2008)...
Bon, rappelons quand même qu'il n'est pas nécessaire de se tourner vers la finance islamique pour conjuguer gestion et morale : il suffit dans notre pays de faire par exemple une recherche sur les mots Belgique, banque et éthique.
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