jeudi 8 janvier 2009

Hamas : pourquoi la popularité ?


Le Hamas : irréprochable défenseur de son peuple ? Pur mouvement terroriste ? Pourquoi certains Etats et organisations le classent-ils comme mouvement terroriste, d'autres ne classant comme terroriste que sa branche armée, d'autres (et pas seulement des Etats arabes opposés à Israël) ne le considérant pas comme terroriste ? Pourquoi les Palestiniens lui accordent-ils tant de sympathie ? Ont-ils dans leurs gènes l'amour des ultra-religieux tueurs d'enfants israéliens, ou le succès électoral et la popularité du Hamas ont-ils des racines plus profondes et moins antipathiques ?


On trouve un éclairage intéressant dans un article paru dans le Monde du 22 mars 2004, après que les Israéliens aient abattu l'un des principaux dirigeants du Hamas, cheikh Ahmed Yassine. Je me permets de le reproduire.

"Fort d'un réseau associatif proche du peuple, le Mouvement, voué à la destruction d'Israël, a porté ses thèses radicales au cœur de beaucoup de Palestiniens

Ariel Sharon avait annoncé une "guerre totale" contre l'organisation responsable des attentats les plus meurtriers. L'assassinat du fondateur du mouvement en est une étape.
On pourrait appeler cela "le théorème d'Oum Khaled". Oum Khaled, donc, se présente un jour de septembre 2003 au domicile du cheikh Ahmed Yassine, le chef spirituel du Mouvement de la résistance
islamique (Hamas), à Gaza. Oum Khaled est une mère de famille qui habite le camp de réfugiés de Bourej, plus au sud. Elle s'adresse au Hamas en désespoir de cause : son fils prépare sa rentrée à
l'université et n'a pas les moyens d'acheter ses livres. Le secrétaire du cheikh Yassine la reçoit très aimablement mais lui annonce qu'il n'a pas le moindre argent à sa disposition : le mouvement est sans le sou depuis le gel de ses avoirs bancaires décrété par l'Autorité palestinienne après l'attentat commis à
Jérusalem le 19 août, qui a fait vingt-deux morts. (En décembre, ils ont été débloqués dans le cadre de négociations interpalestiniennes.) Le secrétaire a tout de même une idée : il décroche son téléphone, appelle un ami libraire. Oum Khaled est priée de lui rendre visite. Elle ne repartira pas à Bourej les mains
vides.
Cette histoire ne résume pas, à elle seule, le phénomène Hamas, mais elle en éclaire bien des aspects, souvent négligés quand on réduit cette organisation à une faction radicale vouée à la destruction
d'Israël. Au-delà de ses activités "militaires", ce mouvement, dont il est impossible d'estimer l'effectif, dispose d'un solide réseau associatif. Il se veut proche de la population, à l'écoute de ses préoccupations, efficace dans l'aide apportée aux plus démunis. Et mise aujourd'hui sur ces atouts pour relever le défi lancé par
Israël, qui s'est juré de "l'écraser".
Créé à Gaza en 1987, au lendemain du déclenchement de la première Intifada, le Hamas est devenu, en moins de deux décennies, le deuxième mouvement palestinien après le Fatah de Yasser Arafat, avec
lequel il s'est heurté pendant les accords d'Oslo, en 1993. Ses thèses radicales ont gagné en popularité avec l'effondrement du processus de paix. Condamné à la clandestinité en Cisjordanie réoccupée, le voilà désormais sur la défensive dans son fief historique : Gaza.
Traqués, ses responsables se cachent. Son chef, le cheikh Yassine - qui vient d'être tué lundi 22 mars à l'aube dans un raid d'hélicoptère israélien - avait réchappé de peu, le 6 septembre 2003, à l'explosion d'une bombe de 250 kg, lancée par un avion de combat israélien, sur l'immeuble dans lequel il avait été "logé",
grâce à l'incomparable réseau d'informateurs dont dispose l'armée israélienne dans les territoires palestiniens. Ce raid a déjà prouvé que la "guerre totale" annoncée par le gouvernement d'Ariel Sharon
contre l'organisation, responsable des attentats les plus meurtriers perpétrés sur son sol, n'est pas un vain mot.
"LISTE NOIRE"
L'Union européenne n'est pas en reste. Après l'attentat de Jérusalem, elle a inscrit l'aile politique du Hamas sur sa "liste noire" du terrorisme ; une liste où figurait déjà la branche militaire. Sous la pression des Etats-Unis, l'étau s'est resserré également autour des circuits financiers. Des dizaines de comptes
bancaires sont sous scellés et neuf associations caritatives sur lesquelles s'appuyait l'organisation ont vu leurs fonds bloqués par l'Autorité. Dans les bureaux de ces associations, les bouches se
ferment devant les visiteurs trop curieux. Surtout, qu'il ne soit pas question de "politique" !
Adib Youssef a justement bien d'autres soucis que la "politique". A 40 ans, il vit avec sa femme et ses sept enfants dans le modeste quartier de Nasr, à Gaza. Après des années de vaches maigres, dont témoigne le mobilier rare et épuisé de son appartement, il vient de trouver du travail dans la zone industrielle d'Erez, contrôlée par Israël. Pour un salaire de misère : 55 shekels par jour (environ 11 euros). Il en gagnait plus de 450 lorsqu'il travaillait en Israël, avant 1992. Adib Youssef devait en théorie recevoir 400 shekels
d'une association proche du Hamas, mais l'argent, en provenance du Qatar, a été gelé, et il ne pourra donc pas faire réparer son réfrigérateur en panne depuis plusieurs mois. "J'ai souvent reçu de l'aide lorsque je n'avais pas de travail, raconte-t-il. D'habitude, les responsables viennent visiter la maison dans les moindres
détails. On nous interroge sur notre situation, puis on reçoit au coup par coup des vêtements, de la nourriture ou de l'argent, en fonction de ce qu'ils ont."
DES LEADERS "ACCESSIBLES"
Adib Youssef assure qu'il n'est pas question pour lui de prendre part à une manifestation, ni même aux funérailles d'un cadre du Hamas. "Trop dangereux !, coupe-t-il. Si je suis reconnu par un "collaborateur", je n'aurai plus le droit de travailler à Erez." Il a beau être considéré comme "clair" par les Israéliens et n'avoir
qu'un rapport routinier avec la religion, il ne tarit pas d'éloges sur les dirigeants du mouvement islamiste, jugés "sérieux", "accessibles" et "soucieux du bien d'autrui". Bien que son leader politique de référence soit Yasser Arafat, Adib Youssef n'exclut pas de voter, "un jour", en faveur du Hamas. Jusqu'à présent, il n'en a
pas eu le loisir. En dépit de beaux succès lors d'élections professionnelles ou étudiantes (il était majoritaire à l'université Al-Najah de Naplouse en 2001 et l'a emporté à Birzeit, près de Ramallah, en 2003), le mouvement avait ainsi choisi, en 1996, de ne pas participer à celles du premier Parlement palestinien (le Conseil législatif), en signe de refus du processus de paix lancé à Oslo trois ans plus tôt.
Parallèlement à la légitimité officielle représentée par l'Autorité palestinienne, il n'a cessé d'affirmer la sienne, alimentée en partie par les travers d'un pouvoir dominé par le Fatah. Ses figures de proue, Ahmed Yassine, Abdel Aziz Al-Rantissi ou Ismaïl Abou Chanab - tué dans un raid de l'armée israélienne, le 21 août 2003 -, vivent ou vivaient dans les quartiers pauvres de Sabra ou de Cheikh-Radouane, dans des maisons modestes, loin du luxe ostentatoire de la villa de l'ancien premier ministre, Mahmoud
Abbas, par exemple.
Avant même que leurs têtes soient quasiment mises à prix, on ne les croisait jamais dans les lieux publics ou dans les cortèges tapageurs qui ont assuré la mauvaise réputation d'une Autorité jugée unanimement corrompue. "Il y a un dicton qui dit qu'on ne peut rien cacher à Gaza, et avec le Hamas, l'argent arrive toujours à destination", estime un observateur palestinien.
RÉSEAU CARITATIF
La puissance du réseau caritatif ne saurait pourtant être exagérée. "D'après les contacts officieux que nous pouvons avoir avec les responsables des associations religieuses, qui ne sont d'ailleurs pas toutes dans l'orbite du Hamas, comme la Zakat qui gère le produit de l'aumône, elles n'auraient disposé en 2002 que d'un budget de 24 millions de dollars, ce qui n'est tout de même pas grand-chose", indique le représentant d'une organisation internationale installée dans les territoires palestiniens.
"En fait, poursuit-il, il s'agit surtout de petits coups de main, de petites sommes distribuées ici ou là par des gens toujours dévoués. D'ailleurs, lorsque l'Autorité gèle leurs activités, comme ce fut le cas en 1996 ou comme aujourd'hui, les conséquences sociales restent minimes." "Le Hamas dispose d'un indéniable capital de sympathie, mais je ne sais pas comment il se traduirait dans des urnes", conclut-il.
Cette sympathie est entretenue au quotidien par une multitude d'interventions et de services adaptés à une société déjà fragilisée par une démographie galopante (la moitié de la population a moins de 18 ans) et mise à genoux par trois ans d'Intifada. Les dons aux familles des "martyrs", aux blessés et aux orphelins, mais aussi les cours du soir, les crèches et les colonies de vacances dénoncées en Israël comme des camps d'embrigadement permettent au Hamas de rester en permanence dans le paysage et de souligner accessoirement les carences du pouvoir. Pour ce faire, il ne méprise aucune activité, ni les ateliers d'informatiques ni les compétitions sportives. Deux clubs de football considérés comme proches du mouvement ont ainsi été tour à tour défaits en août par le Gaza Sporting Club, l'équipe vedette du territoire. A cette occasion, revêtus du traditionnel maillot vert, couleur de l'Islam, et du short islamique qui descend
jusqu'au genou, les joueurs du Club de l'association islamique se sont signalés, paraît-il, par leur fair-play.
Non loin de la demeure du cheikh Yassine, un autre club accueille l'une des meilleures équipes de tennis de table de l'étroite bande de terre. Il va de soi que ces activités sportives, pour l'essentiel, ne sont destinées qu'aux hommes. Mais ces clubs ne sont pas toujours aussi anodins : l'armée israélienne a mis en cause à
l'été 2003 une association sportive de Hébron qui, selon elle, alimentait en hommes des cellules clandestines à l'origine d'attentats.
LA "FACE MILITAIRE"
Il s'agit là de l'autre visage du Hamas - sa face "militaire" - et qui fonde sa singularité. En adoptant dès sa création, en 1987, le principe de la lutte armée, puis en privilégiant plus tard les attentats-suicides, ce dernier a en effet rompu avec un long passé au cours duquel avait été privilégié le travail social. C'était, à l'origine, l'objectif prioritaire des multiples organisations affiliées aux Frères musulmans égyptiens, qui s'étaient succédé dans les territoires palestiniens et dont le Hamas est l'ultime avatar. Non pas que leurs responsables aient été indifférents à la cause nationale. Bien au contraire. Mais la création du Hamas, peu après celle du Djihad islamique, a définitivement placé la politique et l'action violente en tête de chapitre, avant les questions de société. Depuis une décennie, la vulgate du mouvement présente invariablement les attentats comme des
représailles légitimes aux assassinats, par Israël, de ses militants. Cette présentation des faits lui garantit en général l'approbation tacite d'une grande partie de la population, y compris de la part de Palestiniens qui, tel Adib Youssef, peuvent par ailleurs se déclarer hostiles à la violence. "Le Hamas joue sur ce consensus", reconnaît Ghazi Hamad, le rédacteur en chef d'un magazine, Al-Rissala (la lettre), ponctuellement interdit par
l'Autorité car jugé proche du mouvement islamiste. "Mais le Hamas sait qu'il doit aussi faire attention. Tout le monde a désapprouvé l'attentat de Jérusalem parce qu'on savait bien qu'il allait remettre le feu aux poudres."
Cette opération, décidée par une cellule de Hébron afin de venger un chef local tué quelques jours auparavant, a montré des failles dans le fonctionnement interne du Hamas. Sa direction politique est
apparue a posteriori comme placée devant le fait accompli. "Le mouvement est pragmatique, assure Ghazi Hamad, quand il sent que les pressions sont trop fortes, il s'adapte, sans renoncer pour autant à
ses principes."
En 1993, en pleine euphorie du processus de paix, le cheikh Yassine n'avait pas écarté le principe d'une trêve avec Israël, d'une ou plusieurs décennies, une fois Gaza et la Cisjordanie évacués.
Depuis, il a réitéré cette position à plusieurs reprises. Cette plasticité renvoie en fait à un pluralisme très relatif, au sein de l'organisation, entre extrémistes et "modérés", dont atteste Ziyad Abou Amr, universitaire spécialiste du mouvement, éphémère ministre de la culture mais surtout homme de liaison pour l'Autorité
palestinienne.
LES MODÉRÉS
En privilégiant au printemps le "dialogue" avec le Hamas, le premier ministre Mahmoud Abbas avait d'ailleurs fait un pari appuyé sur ce jugement : que les gains politiques pour l'Autorité assurés par la "feuille de route" (le plan de paix international soutenu par les Etats-Unis, l'Union européenne, la Russie et l'ONU) contraignent les "modérés" du Hamas à tenir compte de ce nouveau processus et à intégrer, à terme, le jeu politique et institutionnel. Le mouvement était en quelque sorte invité à se "hezbollahiser" - c'est-à-dire
imiter l'organisation chiite libanaise, représentée au Parlement de son pays - selon l'expression d'un diplomate européen.
Le cycle de violence a cependant renvoyé à plus tard cet objectif, également défendu par un ancien chef du Mossad (les services de renseignement israéliens), Ephraïm Halévy, convaincu de la vanité d'une guerre frontale contre un mouvement qu'il juge profondément ancré dans la société palestinienne.
En 1996, Imad Faloudji, porte-parole du Hamas avait choisi de rompre avec le mouvement pour se présenter, avec succès, aux élections législatives. Yasser Arafat l'avait "récompensé" en en faisant un
ministre des télécommunications. Son cas est resté une exception. Le Hamas demeure en marge du jeu politique. "
Gilles Paris


Mots-clef : Hamas, Gaza, Israël, Proche-Orient.

1 commentaire:

Lune à tics a dit…

Que penser des "boucliers" de civils utilisés à Gaza sciemmment et tactiquement (je crois) par le Hamas ? Que penser aussi de ces dirigeants du Hamas réfugiés sous l'aile pédiatrique d'un hôpital de Gaza à la fin de l'offensive 'Plomb fondu" ? Qu'est-ce qui est le plus stratégiquement rentable , extérieurement, quand on s'est, intérieurement, peut-être (et peut-être pas, je m'interroge) fabriqué une image de soutien social ? Où est l'abus de confiance ? Je suis plus que perplexe...