lundi 16 juin 2014

GI's en Europe : pas que des héros.


"Les Américains, c'est les bons". Ce cliché né au lendemain de la guerre 40-45 et omniprésent longtemps après a conditionné des générations. Peut-être est-il bon de l'interroger alors qu'on commémore (à juste titre) le Débarquement de Normandie, tout en recueillant les fruits particulièrement amers des interventions militaires impulsées par Washington en Irak et ailleurs. C'est l'idée qui me vient après la parution d'un ouvrage dû à une historienne états-unienne, Mary Louise Roberts, intitulé "What soldiers do: Sex and the American GI in World War II". Ce livre rappelle que, après le premier enthousiasme de la Libération, les plaintes se sont multipliées en Europe concernant des soldats U.S. se conduisant envers les populations locales comme des soudards. Mais aussi, ces soldats avaient été poussés dans ce sens par une presse dépeignant les Françaises comme des Marie-Couche-Toi-Là, et, vient d'écrire le New York Times,  présentant la guerre comme " une aventure érotique dans un pays peuplé de femmes insatiables". Le magazine "Life" parlait de la France comme d' " un immense bordel peuplé de 40 millions d'hédonistes ".  Il n'y avait pas que les agressions sexuelles, il y avait les soûleries, les bagarres, les multiples accidents causés par des véhicules de l'armée, la grossièreté... La hiérarchie militaire ne faisait pratiquement rien pour modifier ce comportement. Voir l'intéressante interview de cette historienne dans Le Monde et l'article consacré à l'ouvrage par La Libre.
Je ne juge pas le livre, que je n'ai pas lu. Ce qui me frappe, c'est certaines réactions d'indignation que ce livre soulève. Attention, les nombreuses critiques de lecteurs sur Amazon U.S.A. sont variées et souvent modérées - je me serais attendu à voir dominer les rejets violents, ils sont minoritaires -. C'est de lire çà et là que rappeler ces faits, ce serait de l'anti-américanisme primaire, et qui plus est, "dédouaner le nazisme". Pourtant, mes parents, qui avaient horriblement souffert du nazisme, m'avaient parlé des exactions commises par les GI's.
Or, quelque compassion qu'on éprouve pour les gamins qui ont agonisé sur les plages de Normandie, l'image du puissant sauveur mû par pur amour des peuples est une image dangereuse, notamment quand on considère le suivisme actuel des Européens vis-à-vis de Washington.  Il n'est pas question de mettre sur le même pied l'occupation nazie et les abus de certains G.I.s, mais peut-on rappeler que non, les Etats-Unis ne se sont pas précipités dans la tourmente dès 1939 pour secourir les victimes d'Hitler ? Que des lois de neutralité le leur interdisaient ? Que la neutralité était très populaire ? Qu'ils sont entrés en guerre fin 41, forcés, parce que le Japon allié de l'Allemagne les avait attaqués ? Que le German-American Bund défilait avec drapeaux à svastika et revendiquait jusqu'à 200.000 sympathisants ? Que le très populaire Lindbergh refusa de se séparer de l'ordre de l'Aigle allemand dont Göring l'avait décoré,que le très influent Henry Ford finança abondamment le parti nazi allemand ?
J'ai lu aussi comme argument que les soldats soviétiques avaient multiplié, lors de leur progression,  les violences en tout genre. C'est certain, et ce fut sur une grande échelle, et avec barbarie. Je vois mal en quoi l'un excuserait l'autre. On peut aussi rappeler que si les USA ont perdu dans les combats quelque 300.000 hommes, l'URSS en perdit environ 10.000.000, auxquels il faut ajouter au moins 10.000.000 de civils, que les nazis considéraient officiellement comme des sous-hommes à éliminer pour faire place à l'expansion de la race germanique. Sauf à Pearl Harbour, aucune bombe n'a touché le territoire des Etats-Unis. Les soviétiques avaient perdu femmes, parents, enfants, villes rasées, villages brûlés, ils avaient quelques motifs d'avoir la rage envers l'Allemagne. Surtout, l'image du soldat soviétique devint rapidement, en Europe, extrêmement négative, au contraire de celle des GI's, ce qui n'était évidemment pas neutre politiquement.

Alors, parler d'anti-américanisme pour le seul fait qu'on s'intéresse aux faits rappelés par Mary Louise Roberts, citoyenne des Etats-Unis, et affirmer que l'anti-américanisme serait une tradition européenne, c'est gommer la réalité. Longtemps après la guerre, tout ce qui venait des States, du chewing-gum aux cow-boys en passant par les pin-ups, les Cadillac et les hit-parades, était automatiquement prestigieux, et les B.D comme les films débordaient de héros made in USA dont l'immaculée blancheur contribuaient à nous ranger dans le bon camp dans la guerre qui ne fut pas toujours si "froide" que ça. L'image prestigieuse des généreux libérateurs irréprochables était bien pratique lors de la guerre de Corée, pour nous faire nous sentir solidaires, gamins, de Buck Danny descendant les "Faces de coing". De même, "Si les Ricains n'étaient pas venus vous seriez tous en Germanie", cette chanson de Sardou est sortie à l'époque de la guerre du Vietnam. Et encore maintenant, les pays européens, qui murmurent à peine quand Washington les espionne, emboîtent le pas à la politique extérieure des Etats-Unis...

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