mardi 26 septembre 2017

La Procréation Médicalement Assistée... Discriminative ou non ?


Ce texte est extrait de la lettre politique du 14 septembre de Laurent Joffrin, directeur de publication de Libération.

Sans père

Le débat sur la PMA reprend. Le gouvernement a annoncé son intention d’ouvrir la procréation médicalement assistée aux femmes seules et aux femmes homosexuelles : les opposants reprennent le sentier de la guerre. Les légions en loden et mocassins de la Manif pour tous et de Sens commun s’animent de nouveau. Dans une précédente lettre, j’ai salué cette décision, confirmée il y a deux jours par Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’Egalité hommes femmes. André Sénik, philosophe, ancien militant de mai 1968, aujourd’hui venu à des positions nettement moins à gauche, et qui me fait l’honneur de lire régulièrement cette lettre, m’envoie l’objection suivante.


La suite :

«Vous écrivez, dit-il, que l’interdiction de la PMA "constitue évidemment une discrimination envers les femmes seules et les couples d’homosexuelles". Je réagis sur l’emploi du mot. Il n’y a discrimination injuste que si la même règle ne s’applique pas également à des cas semblables en la matière concernée. En la matière, qui est l’histoire des enfants, un ou deux parents d’un seul sexe d’un côté, et des parents de deux sexes de l’autre, ne sont pas des cas semblables. S’en tenir à l’égalité entre les adultes sans prendre en compte, par prudence, les enfants, c’est juste oublier l’essentiel. En l’occurrence, la différence de traitement serait-elle dépourvue de toute raison valable ? Ne serait-il pas au moins discutable que les femmes seules et les couples d’homosexuelles soient justifiées et même aidées à faire des enfants qui sont délibérément privées d’un père ?»

Il est tout à fait exact de remarquer qu’un droit accordé aux uns et refusé aux autres n’est pas forcément discriminatoire si la situation des uns et des autres est différente. Les allocations familiales sont accordées aux familles avec enfants et refusées aux autres, les taux d’imposition sont différents selon les revenus des contribuables, le droit de vote va aux citoyens français et non aux étrangers, etc.

Mais en l’espèce, la différence de situation entre couple hétérosexuel stérile (qui a droit à la PMA) et un couple de femmes homosexuelles (qui en est encore privé) justifie-t-elle la différence de traitement ? Oui, dit Sénik, puisque dans un cas l’enfant aura un père et dans l’autre non. L’argument, en fait, est très faible. Il repose sur le «droit de l’enfant» qu’on oppose au droit des adultes. Les femmes vivant en couple qui demandent l’accès à la PMA lèseraient l’enfant à naître, qui aura deux mères au lieu d’un père et d’une mère. C’est le cœur de l’argumentation de la Manif pour tous, qui met en avant avec insistance le «droit des enfants» à avoir deux parents de sexe différent. Implicitement, on suppose donc que l’enfant qui a deux mères est lésé par rapport à celui qui a un père et une mère.

Le problème, c’est que rien ne le prouve. Il faudrait pour y parvenir démontrer que les enfants d’homosexuels ou d’homosexuelles connaissent une enfance plus difficile que les autres, qu’ils souffrent par exemple de troubles psychologiques particuliers. Or l’immense majorité des études réalisées dans le monde sur les enfants d’homosexuels depuis deux ou trois décennies concluent le contraire. Leur méthodologie est contestée par… les opposants au mariage gay, qui produisent des contre-études dont les universitaires estiment qu’elles accusent des biais manifestes.

Les opposants en question nient qu’il existe un «droit à l’enfant» et opposent à ce «faux droit» un vrai «droit des enfants». C’est un sophisme. Si l’on part du principe que ce qui n’est pas interdit est autorisé, il existe bien un «droit à l’enfant». Aujourd’hui, la loi n’interdit à personne d’avoir des enfants, même quand la situation des parents laissent augurer de difficultés, réelles ou supposées, pour l’enfant. Un homme très âgé ou malade peut procréer même s’il est clair que son enfant se retrouvera très tôt orphelin de père. Une femme seule peut déjà enfanter – fort heureusement – même après une aventure d’un soir, et même s’il est certain que le père – parfois inconnu – sera absent. Faudrait-il, pour éviter ce genre de situation, jeter de nouveau l’opprobre sur celles qu’on appelait naguère «les filles-mères» et limiter au nom du droit de l’enfant à naître, la sexualité hors mariage ? Beaucoup d’études tendent à montrer que c’est souvent la séparation des parents qui perturbe l’enfant, plus que le genre ou l’orientation sexuelle des parents. Faut-il interdire le divorce ? On sait bien que non. Les enfants ont surtout besoin d’amour, bien plus que de conformité à une norme sociale héritée de la tradition…

Autrement dit, l’interdiction de la PMA pour les homosexuelles jette la suspicion sur des femmes dont rien ne montre qu’elles élèveront mal leur enfant. Elle procède d’une conviction, d’une croyance, ou d’une tradition religieuse, non d’une pensée rationnelle. Elle est donc bien discriminatoire à l’égard des couples de femmes.
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