mercredi 3 décembre 2008

Ixelles : Massacre à la Bourde



Or donc, les vaillantes troupes déployées par la société ACIS se sont lancées aujourd'hui à l'assaut du charmant bâtiment néogothique dont une Commission de Concertation avait pourtant demandé la restauration. Voyez le chapitre précédent, le post : "Ixelles : Massacre à la Bétonneuse" (juste en dessous). Mais les choses ne se sont pas déroulées exactement comme prévu.

Bien que dans un état crève-coeur, le bâtiment ou ce qu'il en reste tient encore debout. Mais...

Mais n'empêche, les objectifs du jour ont été largement dépassés : les démolisseurs ont ... fait s'écrouler une portion du mur qui sépare le parc de la Maison de Retraite des demeures voisines, parsemant de gravats les jardins, en contrebas, de deux maisons dont les habitants sont évidemment ravis, trucidant un arbre innocent et suscitant de vives interrogations sur la capacité de résistance du restant de ce très long mur. (Cliquez l'image pour contempler ce moment de consternation dans toute sa splendeur).

Notons qu'au moment de l'exploit, aucun responsable ne se trouvait sur le chantier. De plus, alors qu'un architecte d'ACIS nous avait écrit le 13 octobre, en réponse à nos signes d'inquiétude : "ce mur qui ne présente aucun signe de faiblesse...", les ouvriers nous ont montré l'état lamentable du mortier en répétant que ce mur est "complètement pourri".

On imagine le résultat si un voisin s'était trouvé dans son jardin... Après cette franche réussite, les organisateurs planifieraient actuellement un tremblement de terre, un tsunami, et enfin un incendie de l'îlot, pendant lequel le futur directeur de la Maison de Retraite, tel Néron face à Rome en flammes, jouerait de la lyre sur la terrasse de son immeuble.
N'empêche que cette plaisanterie se fait sous la bannière de la société Galère SA, qui se présente comme l'une des principales firmes belges de construction, réalisatrice de tunnels routiers, de bâtiments publics, de tarmacs d'aéroport... Après ça, si j'apprends que mon avion va se poser sur un tarmac signé Galère, je saute en parachute.


Mots-clef : Ixelles, urbanisme, acis, Galère, patrimoine, Bruxelles, bruxellisation

lundi 1 décembre 2008

Ixelles : Massacre à la Bétonneuse


Il était une fois à Ixelles (Bruxelles) une petite rue... très petite, ou du moins très étroite, très serpenteuse, qui s'appelait la Petite Rue Malibran (du nom d'une feue cantatrice qui logea, chanta et aima non loin).

On y trouvait un petit parc pour enfants.
Des chats errants heureux.
Et souvent à la belle saison des musiciens qui tapaient sur des bambous en buvant des petits verres.



La Petite Rue Malibran était bordée d'un côté de maisonnettes coquettes, et de l'autre d'un bâtiment peu commun, en briques rouges, ancien, plein de caractère et très joli, dont vous verrez une partie si vous lisez la suite.

Tout cela était beau. Trop beau pour durer.



Car ce bâtiment faisait partie d'une Maison de Retraite et de Soins, dont
on s'aperçut un jour qu'elle pouvait devenir plus rentable. Evidemment, on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs, ni du fric sans casser du patrimoine. En 2006, la société ACIS (Association Chrétienne des Institutions Sociales et de Santé, Namur) obtint un permis d'urbanisme pour modifier ce vaste ensemble (6.964 m ² de logements), en clair : pour en démolir ce qu'elle pouvait en démolir.
Car, première bizarrerie de ce dossier, la très longue façade longeant la Petite Rue Malibran était classée, mais seulement en partie. La moitié "faisant le coin" avec la (grande) Rue Malibran était protégée, l'autre pas. Bien malin qui aurait pu dire pourquoi, les deux moitiés étant aussi différentes que les Dupond et Dupont. Le sort de la moitié non protégée fut réglé à coups de bulldozer, elle fut remplacée par un cube de béton. Cohérence avec l'environnement : zéro.

Pour la deuxième moitié, on appliqua l'irremplaçable recette que chante Claude Semal : "On a gardé la façade et bazardé le reste".

Résultat, bien sûr,

Le hiatus consternant
Entr' les deux bâtiments
Est tout à fait flagrant
Petite Rue Malibran.

Mais ce n'est pas tout...

A l'arrière de la Maison de Retraite et de Soins ( "MRS" ) se trouve un parc. Tout cela faisait un bel intérieur d'îlot, chargé d'ans, de lierre et d'atmosphère. Inutile de dire qu'une fois le cube de béton gris pondu, le charme néo-gothique de l'îlot fut broyé :





Mais parmi ce qui subsistait demeurait un vestige du passé, précieux, chéri des habitants, visible de loin : un bâtiment arrière, donc situé dans le parc, romantique en diable. Et pour cette construction, rien à craindre : la société ACIS s'était engagée à le restaurer !
Cette condition figurait dans le permis d'urbanisme, donc c'était sûr et certain (oserons-nous dire : "C'était du béton" ? ), le bâtiment serait non seulement maintenu, mais plus beau qu'avant, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer.
Puisque c'était promis, pas de raison de s'inquiéter ; donc quand, dès le permis obtenu, ACIS eut pour premier soin de démolir la toiture de ce bâtiment, on se dit que ce devait être pour son bien, pour mieux le restaurer. Bien sûr, on n'avait pas placé de protection, pas même une bâche à la place du toit, il y pleuvait et neigeait, mais ces ingénieurs, ces architectes, c'est des pros, ils savent ce qu'ils font !


Ils le savaient. Nous pas. En 2008 (on en était en gros au milieu des travaux prévus), ACIS déposa une demande de modification au permis. Il n'y était plus question de rénover le bâtiment arrière, mais de le démolir et le remplacer par du béton gris ! Explication : tout compte fait, ce bâtiment était en trop mauvais état. Comme si on n'avait pas pu s'en rendre compte en 2005, quand les plans furent finalisés ! Et comme si la suppression du toit pendant deux ans n'était pour rien dans la dégradation ! Une Commission de Concertation (Commune, Institut Bruxellois de Gestion de l'Environnement, Service Monuments et Sites, Administration de l’Aménagement du Territoire et du Logement, Société de Développement Régional pour Bruxelles ) remit un avis défavorable à la modification, donc défavorable à la démolition, donc favorable au projet initial. On y lisait entre autres :
- ...qu'il s'agit d'un bâtiment arrière, sans doute destiné à l'origine à d'anciennes écuries et présentant un caractère pittoresque (...) ;
- qu'il convient de manière générale de préserver ce type de bâtiment constituant un témoin du bâti ancien de cette partie du territoire communal ;
- qu'il y a lieu de privilégier sa restauration, telle qu'elle était prévue dans le permis d'urbanisme délivré en 2006 ;
- qu'à défaut de sa restauration, il y a lieu d'en conserver sa trace par une stabilisation de la ruine ;
- que, si cela ne s'avère pas réalisable, la destination de cet espace à une zone de pleine terre plantée doit être privilégiée.

Peu après, une quinzaine de riverains signaient une lettre demandant que l'avis de la Commission soit respecté et que soient donc privilégiées soit la restauration promise en 2006, soit à défaut la stabilisation d'une ruine. Cette dernière solution, économique, devait pouvoir constituer un moyen terme acceptable pour tous.
Mais voilà, les bons ne gagnent que dans les westerns. En novembre 2008, la Commune d'Ixelles s'est refusée à suivre l'avis consultatif de la Commission de Concertation, ce qui est assez exceptionnel. ACIS a reçu l'autorisation de démolir. Seule limite : elle ne pourra pas construire un nouveau bâtiment à la place de l'ancien, elle devra mettre un espace planté.
Pour l'instant. Car ces événements prouvent qu'un permis d'urbanisme, à Ixelles, n'offre guère de garantie. Le maintien de la ruine avait pour avantage, à part l'esthétique et le maintien partiel du caractère de l'ilôt, de rendre impossible toute construction nouvelle à cet endroit. Sa disparition rendra possible le scénario suivant : une fois le bâtiment arrière démoli, ACIS pourra attendre quelques années, le Collège et le personnel de l'Urbanisme auront changé à Ixelles, l'oubli sera passé sur le dossier, on pourra alors demander discrètement une nouvelle modification du permis, et un nouveau cube de béton fleurira.

Recourir à la loi ? Selon un juriste spécialisé, la démolition du toit sans permis est une infraction et peut faire l’objet de poursuite devant le juge pénal. Ce qui signifie vraisemblablement qu'au bout d'années de procédure, la société responsable serait condamnée à une amende qui passerait inaperçue dans la masse de pareil budget. Ce n'est pas ça qui ferait repousser le bâtiment démoli. Quand on pense qu'un petit voleur, infiniment moins coupable, peut se retrouver en tôle...

Jadis, un monsieur Montesquieu avait écrit un livre intitulé « De l’Esprit des Lois ». Cela vous a aujourd’hui un de ces airs ringards…
Un peu comme la chanson de Dutronc :

Mais un jour, près du jardin,
Passait un homme qui, au revers de son veston,
Portait une fleur de béton.
Dans le jardin une voix chanta:
"De grâce, de grâce,
Monsieur le Promoteur,
De grâce, de grâce,
Préservez cette grâce".

En tout cas, comme le note sur son site l'ARAU (Atelier de Recherche et d'Action Urbaines), "Contrairement à ce que prétendent certains, la bruxellisation, bien que moins flagrante aujourd’hui, est toujours à l’œuvre."





Mots-clef : Urbanisme, Bruxelles, Ixelles, bruxellisation, environnement, commission de concertation, permis