Charlie Hebdo : "Ne me dis pas qu'il n'y a rien à faire".

J'ai reçu un courrier (aimable) suite à mes réactions dubitatives face aux manifestations « Charlie Hebdo ». Question de clarifier, je reproduis ici mes réponses à deux arguments.

"Ne me dis pas qu'il n'y a rien à faire".

Je ne dis justement pas cela. Par exemple, Dounia Bouzar a écrit un excellent livre "Désamorcer l'islam radical", plein de pistes que personne, dans ce tsunami émotionnel sans propositions, n'a évoquées. Cette réflexion là, , même si Dounia Bouzar a participé à un débat TV , cette marée l'a engloutie dans un machin qui rappelle la marche blanche, et sur quoi celle-ci, respectable en soi, a-t-elle débouché ? Sur des divergences quand il a fallu concrétiser, et une récupération par divers Verwilghen.
D'autres pistes que manifester, le président de l'association Banlieue plus en indique au "Monde" quand il déclare : "le problème, ce n’est pas la religion. C’est le chômage, l’échec scolaire, l’insécurité… Tant qu’on ne résoudra pas ces problèmes-là, on aura des gens qui se sentiront marginalisés ».

Et question de "faire quelque chose", j'ai créé le logo que je t'envoie en pièce jointe, je l'ai publié sur Facebook où je compte quelque 2.000 "amis", avec les adresses pour s'abonner à Charlie Hebdo. Je pensais que, puisque le logo original inonde Facebook et est devenu la "photo de profil" d'innombrables membres, une foule de gens allaient se dire "Quel meilleur message de solidarité à diffuser qu'un appel à s'abonner ? Diffusons, diffusons !". Depuis lors, mon post a été partagé en tout et pour tout 9 fois !

La suite :

"et qu'il ne nous reste plus qu'à attendre le prochain acte terroriste benoîtement".

Je ne vois hélas pas en quoi cette manifestation découragerait les actes terroristes. Plutôt, deux fois hélas, le contraire. Je ne sais hélas plus dans quel JT un spécialiste de l'islamisme expliquait il y a quelques semaines que les images de ce genre de défilés étaient utilisées par DAECH et consorts, montrées à leurs troupes, avec pour commentaire : "Voyez comme nos actions font peur aux ennemis de l'Islam". Celle-ci se prête parfaitement à : "Voyez cette marée de gens qui soutiennent des insultes au Prophète, voyez comme ils sont furieux et effrayés. Nos frères ne sont pas morts en martyrs pour rien. Frappons à nouveau".

Remarque émanant d'un copain qui a manifesté à Bruxelles : le cortège était très bleu-blanc-belge. Dans une ville multiculturelle comme Bruxelles, présence très faible de l'immigration. J'ai longuement parcouru les images venues de France : même remarque, même si caméras et micros se tendaient vers les rares musulmans participants. Et cela alors que le policier abattu devant Charlie Hebdo était pourtant un musulman d'origine arabe. Dans de nombreuses écoles de France et de Belgique, le thème "Charlie" a suscité des réactions hostiles, la minute de silence a été chahutée. Il ne suffit pas de s'en désoler. Il faut bien constater que cette mobilisation a peut-être touché 2 millions de personnes, mais cela en laisse 64 millions, dont près de 5 millions de musulmans, sauf les rares présents aux manifs. Pour une partie de ces 5 millions, cette mobilisation sera une illustration de plus de l'hostilité à laquelle ils se heurtent. Perception très largement fausse, bien sûr, mais pas entièrement. Le Bloc Identitaire écrivait dès l'attentat : "Personne ne pourra prétendre lutter contre le djihadisme sans remettre en cause l'immigration massive et l'islamisation de notre pays." De même, le jour après l'attentat, Riposte Laïque a organisé un rassemblement contre l'"islamisation de la France" et exigeait un "moratoire sur l'islam" et la fermeture des mosquées. Certes, le Bloc et Riposte appellent à leurs propres manifestations uniquement, mais Résistance Républicaine, mouvement du même tonneau, était à la manif de Paris et écrit triomphalement : "l’Islam à subi ce 11 janvier 2015 en France son premier revers politique". Et depuis l'attentat, on comptait déjà hier en France plus de 50 actes anti-musulmans. Alors croit-on que tous les gamins des banlieues feront la différence entre les démocrates et ces mouvements là, ou avec le succès croissant des manifestations Pegida en Allemagne ?  Au lendemain de ces manifestations "Union Nationale", je crains que les fractures se soient plutôt au contraire aggravées en France. Sans parler de pays tels que le Pakistan, où distance et islam radical aidant, les téléspectateurs verront simplement des manifestations "pro-caricatures". Cela ne suffirait pas bien sûr pour ne pas manifester, mais s'imaginer que ces manifestations sont utiles contre le terrorisme, c'est à mon avis rêver en couleurs. Elles nourrissent probablement plutôt son vivier et l'idée du "choc des civilisations".

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