mardi 3 juin 2014

Élections : le voile de Rebecq.

Madame A. Hayat n'a pas été assesseure lors des récentes élections. Pourtant elle avait été tirée au sort.  Mais cette musulmane portait un voile. Lorsqu'elle s'est présentée au bureau de vote de Rebecq, le président du bureau a invoqué une directive de la gouverneure du Brabant wallon, Marie-José Laloy, directive dont le texte est introuvable sur le Web, mais dont je lis qu'il y "figure la directive de veiller à la neutralité dans les locaux où sont installés les bureaux de vote en prenant soin que n’y soient pas présents de signes religieux, conformément aux valeurs de la laïcité". L'ennui c'est qu'apparemment cette directive vise les locaux, pas les personnes.
Recalée, madame A. Hayat a déclaré : «Je me sens un peu rejetée, car c’était pour moi un honneur de faire le devoir qui m’avait été confié. Je conçois qu’on ne doit pas afficher de signes de sa conviction politique pour rester neutre en tant qu’assesseur, mais je ne comprends pas en quoi le voile que je porte sur la tête peut influencer les électeurs».
Je ne le vois pas plus qu'elle. L'argument, que j'ai lu, que son voile pourrait être interprété non comme un signe d'appartenance religieuse mais comme un signe de sympathie politique, pour le parti Islam, ne tient pas debout : en Belgique comme en France, les partis musulmans ne récoltent que des scores microscopiques par rapport au nombre de musulmans, donc porter un voile n'indique aucune sympathie pour un parti religieux. Et avec pareil raisonnement, il serait interdit dans les bureaux de vote français, quand un parti Chasse et Pêche se présente, qu'un assesseur se présente avec une veste de chasse, même déposée sur le dossier de sa chaise. Je refuserais de voter dans un bureau où un assesseur porterait des Doc Martens, chaussures des skins d'extrême-droite. Etc.

"Un magnifique tatouage anarchiste"

L'éviction de cette dame a été saluée comme une victoire par certains commentateurs sur Facebook, je la vois comme une défaite et une absurdité. Je n'en souhaite pas moins toujours l'interdiction du voile dans les écoles publiques et aux guichets des administrations. Mais on ne peut imposer aux électeurs - donc aux assesseurs, qui les représentent - les valeurs que l'école publique a en revanche toute raison d'imposer à ses élèves. Et les assesseurs ne sont absolument pas (contrairement à ce que j'ai lu plusieurs fois) des membres de la fonction publique ! Ils sont tirés au sort, et la seule qualification demandée est de faire partie du corps électoral. Ils représentent donc les citoyens, dans leur ensemble, et les citoyens sont divers. Si l'on refuse d'admettre qu'une femme voilée fait partie de la communauté des citoyens, il faut être logique et déchoir de la citoyenneté belge toutes les femmes voilées.
Par ailleurs, Rebecq introduit une première distortion : dans les autres bureaux concernés, la présence d'assesseures voilées n'a pas posé de problème aux présidents. Et une seconde  distortion : toujours sur Facebook, une dame étonnée écrit :
"Dans mon bureau de vote, l'assesseur qui a cacheté mon bulletin portait un magnifique tatouage anarchiste sur le poignet. Ça, ça a été accepté". Un ami m'écrit : "Chez moi, un des assesseurs avait une grande croix celtique tatouée sur le bras." (La croix celtique est depuis longtemps un symbole "couramment associé à des mouvements d'extrême droite et néofascistes, en France puis dans d'autres pays européens comme l'Italie"). Un comble : on rejette un signe religieux, et on accepte des signes politiques !
Par ailleurs, qu'on ne me dise pas que jamais, dans notre terre de chrétienté, on n'a vu au cou d'une assesseure une médaille de la Vierge ou une croix ...

Les gros cadeaux entretiennent l'inimitié.

Enfin, et comme souvent, quel cadeau les islamophobes font aux islamistes ! Car enfin, alors que tant de gens tirent la gueule, non seulement s'ils sont assesseurs, mais s'ils doivent aller voter, cette dame explique avec beaucoup de  dignité qu'elle prenait ce rôle comme un honneur, et quel sentiment d'exclusion elle ressent. Tous les Charia4Belgium et compagnie disposent désormais d'un superbe argument : "Voilà une femme qui veut s'intégrer à leur société, et on la rejette. Voyez à quel point ils ne veulent pas de vous !". Alors qu'il serait si sympa de se dire en arrivant dans un bureau de vote : "Il y a ici des chrétiens, des musulmans, des laïques militants, des juifs, d'autres encore, et tous ces gens accomplissent ensemble une tâche essentielle, en tant que citoyens".  Est-ce un hasard si, en invoquant l'intégration, on la fait souvent reculer ?

P.S. 1. On me répond l'éternel mantra : "L'islam est politique", comme s'il était le seul. Bien sûr, il l'est, comme toute religion, puisque toute religion est un système d'explication du monde.  Le catholicisme fut une défense de l'Ancien Régime, jansénisme puis protestantisme accompagnèrent la montée de la bourgeoisie, des évêques français ont donné cette année des consignes de vote. La colonisation israélienne se fait en invoquant l'Ancien Testament. Les théories économiques de A. Smith, Friedman, Keynes... sont 100% politiques, les vues philosophiques de Platon ("La Cité" ), Spinoza ("Traité de l'autorité politique"), Hegel ("Droit Naturel et Science de l'Etat") etc. etc. aussi... Exclurait-on un assesseur parce qu'il aurait tiré de sa poche une oeuvre de Platon ou de Keynes ?
2. J'écris "assesseure". Lisant partout "la gouverneure", et partout "une assesseur", j'ai décidé que l'égalité prescrivait de donner à l'humble servante de la démocratie la même voyelle qui orne la fonction de la gouverneure. Et si on m'embête, je remplace par "assesseuse".

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