lundi 14 février 2011

Interdiction de la burqa : un oeil extérieur.


(image Wikipedia Commons )


Je reste tout aussi fermement partisan de l'interdiction du voile dans les écoles publiques et au contact du public dans les administrations (nombreux articles à ce sujet sur ce blog). Et, surprise, opposé en revanche à l'interdiction de la burqa dans l'espace public, que des gens qui laissent se dégrader tous les indicateurs de la situation sociale et économique des femmes brandissent au nom de l'égalité hommes-femmes qu'ils laissent reculer. Evidemment, cette double position me vaut de me faire traiter d'un côté d'islamophobe et de l'autre de vendu aux islamistes (j'ai quand même été surpris quand j'ai lu sur Facebook : "Vous écrivez sous la dictée des Fous de Dieu !". Les dits fous en seraient bien étonnés).

Mais voilà, bien qu'ayant écrit à ce sujet (burqa) ailleurs, je préfère aujourd'hui lâchement me dissimuler derrière la littérature d'un/e autre - surtout pour montrer que je ne suis pas seul, en compagnie d'une bande d'islamistes. Cet/te autre s'appelle Julia Mikić, et j'ai reçu son texte par mail avant de le retrouver ici ..

Suite de l'article :

Bien que les options des Jeunes Européens ne soient pas les miennes, je lis avec parfois intérêt leur magazine, "Le Taurillon", qui se présente ici en français mieux que je ne saurais le faire. Mais l'article en question n'est apparemment disponible qu'en anglais, je l'ai donc traduit à la grosse louche en français. Pour qu'on ne croie pas qu'il s'agit d'un avis isolé, je rappelle que tant Amnesty que les Ligues concernées des Droits de l'Homme ont condamné ces interdictions, d'autant plus absurdes que selon les défenseurs de la loi, la France compterait 2000 burqas. Cela représenterait 0.003 % de la population. Mais selon deux notes successives de la police française, ces porteuses de burqas sont en réalité ... 367. Soit 0.0005 % de la population. Et dont une bonne part sont des converties récentes, qui la portent donc plutôt par choix que sous la contrainte. Le député UMP Jean-Paul Garraud, pourtant défenseur du projet burqa à l'Assemblée, reconnaît d'ailleurs dans son rapport que "D’autres libertés pourraient également voir leur exercice restreint par l’adoption d’une telle interdiction. On peut citer, à ce titre, la liberté d’aller et de venir ou la liberté du commerce et de l’industrie".

L'article de Julia Mikić :
Ce qui se cache sous l'interdiction de la burqa
Arborant un foulard bien serré sur ma tête et ma bouche contre le froid glacial de Bruxelles cet hiver, je me suis rendu compte que je me livrais à une activité illégale. Bien sûr, je ne risque pas réellement une arrestation ou d'une amende - mais c'est justement là le problème. Certains foulards, paraît-il, sont plus égaux que d'autres.

La semaine dernière, la Hesse a été le premier État allemand à interdire le voile islamique aux employés de la fonction publique, arguant que le contact visuel est nécessaire entre le citoyen et l'Etat. Une telle règle n'est pas déraisonnable, vu que la plupart des institutions d'État et des entreprises ont des codes vestimentaires, qui peuvent prescrire n'importe quoi, de la longueur de la manche et des ongles à la teinte du maquillage et la forme de la barbe. La différence, ici, cependant, est que ce qui est essentiellement une clause dans les règlements de salariés ou dans des contrats a été élevé au rang de loi de l'État, non pas comme une disposition générale, mais, plutôt, comme celle qui distingue un vêtement particulier porté par un groupe particulier de citoyens, pour explicitement légiférer contre ce vêtement.

Les députés belges et français ont approuvé cette interdiction l'année dernière, mais sous une formulation vague se référant prétendument à tout visage couvert en public. Curieusement, on n'a pas encore signalé de motards condamnés à une amende pour port du casque, ni aucun Saint Nicolas ou Père Noël subissant les conséquences de s'être promené en ne laissant voir que ses yeux entre le chapeau et la fausse barbe. Donc, apparemment, ce qui a dû se perdre dans la traduction est que «tous» et «des femmes musulmanes" sont synonymes quand il s'agit de l'adoption de lois.

Il ya trois questions fondamentales à se poser ici. Premièrement, si le problème est la visibilité dans le contact personnel, pourquoi la Hesse a-t-elle restreint l'interdiction à la burqa, et pourquoi a-t-elle dû envoyer le message que l'apparence des employés de la fonction publique a prêté à une réglementation légale - tout à fait circonscrite - ? Deux, s'il ya un consensus en Belgique et en France sur la burqa, pourquoi hypocritement le passer sous silence en l'enveloppant dans des termes généraux vagues, en proposant une loi, alors que - dans la pratique - la loi ne sera jamais appliquée en ces termes ? Et trois, quel mal réside-t-il dans la burqa en premier lieu - mal tel que les États ressentent le besoin de le stigmatiser dans leurs lois ?

Pour comprendre cela, nous devons examiner les arguments habituellement utilisés pour défendre l'interdiction. Je vais réfuter chacun d'eux et montrer que non seulement ils ne tiennent pas, mais en fait, causent un plus grand préjudice.

1) les femmes musulmanes qui portent la burqa sont forcées à le faire, ce n'est jamais leur propre choix.

Pourquoi cet argument ne tient pas : C'est peut-être vrai pour un certain nombre de femmes, mais la vraie question est : "Qu'en est-il de celles qui choisissent de le faire de leur propre volonté ?" Ces femmes existent, donc qu'allons-nous leur dire? Signez un document attestant que vous n'êtes pas forcées, et puis tout ira bien ? Ou que, peu importe ce que dit une femme, elle ne doit pas être crue ?

Pourquoi il est dangereux de gober cet argument : Imposer à une femme le choix de sa robe ou la forme de sa pratique religieuse est certainement répréhensible. Pourtant, ce qui est encore pire, c'est tenir pour acquis qu'il n'est pas possible qu'une femme ait choisi elle-même sa robe ou sa forme de culte. Tenir pour acquise une telle impossibilité n'est pas seulement offensant, c'est la définition même du sexisme.

2) Les femmes qui refusent de porter la burqa en public, sont punies par leurs pères et maris, le moyen de l'empêcher est d'interdire le port de la burqa en public.

Pourquoi cet argument ne tient pas : Alors que la première affirmation peut être vraie, la seconde ne peut en découler logiquement. Si nous acceptons l'idée que le port de la burqa en public est la conséquence de la pression sociale sur ces femmes, en enlevant la conséquence on ne touche pas à la cause (la pression). Bien au contraire.

Pourquoi il est dangereux de gober cet argument : Il s'agit d'un cas d'école d'arbre cachant la forêt. En étant tellement centré sur la notion de burqa, on semble ne pas comprendre que la raison fondamentale pour laquelle la burqa pose problème tient en premier lieu dans son rapport à l'émancipation des femmes. L'argument ci-dessus présente un faux dilemme entre des femmes opprimées dans la rue et des femmes qui ne seraient plus opprimées dans la rue. Le problème, cependant, est que, quand une telle législation aura été adoptée, les femmes qui étaient obligées de se voiler avant de quitter leurs maisons ne vont pas simplement jeter leurs voiles et aller chercher une éducation et un emploi, bien au contraire - elles ne seront, tout simplement, jamais en mesure de quitter leur foyer. Si le vrai choix se situe, comme c'est le cas, entre des femmes sortant de chez elles voilées, ou des femmes restant enfermées, ce que la loi fait est accroître les obstacles à l'émancipation de ces mêmes femmes qu'elle prétend protéger.

Pourquoi il est encore plus dangereux de gober cet argument : Dans la meilleure tradition consistant à «résoudre» les problèmes en les balayant sous le tapis, ces législateurs semblent croire qu'en supprimant dans la rue la conséquence de la violence familiale, celle-ci cesse de poser problème, disant: «Tout va bien, tant qu'il n'y a pas de preuve tangible." Bien sûr, c'est le contraire qui est vrai. S'il y a violence familiale dans quelque maison que ce soit, musulmane, chrétienne ou non, c'est un problème, et bien cerné par les lois qui existent déjà. La violence domestique est un crime, elle est illégale, pour commencer - un point c'est tout. Mais en fuyant la question réelle et en légiférant contre le symptôme, non seulement on ne le résout pas, mais on l'aggrace en le transférant du domaine public, visible, dans le domaine privé, invisible. Ainsi, non seulement cette question est maintenant effectivement dissimulée aux regards, mais l'incitation à lutter contre elle est également diminuée. Par conséquent, l'interdiction de la burqa n'est qu'une lâche tentative de distraire l'attention du fait que le véritable problème - la violence domestique comme phénomène général - n'est toujours pas traité avec succès dans la pratique.

3) le port de la burqa en public est une menace à la sécurité.

Pourquoi cet argument ne tient pas : Dans toutes les situations où c'est le visage qui est utilisé pour une identification, il existe d'autres moyens - plus efficaces - d'atteindre le même but, par exemple l'identification rétinienne et les empreintes digitales. Dans les rares occasions où il est dans l'intérêt de la sécurité que le visage soit vu, il y a moyen d'arranger cela également (par exemple des agents femmes se tenant dans des pièces à part). Dans tous les autres contextes, à savoir la vie en société, il ya des exemples évidents qui contredisent cette affirmation : les dentistes, les chirurgiens; quiconque porte un casque de moto ou une barbe importante ; les carnavals.

Pourquoi il est dangereux de gober cet argument : Tout simplement parce que le fait qu'un dangereux terroriste pourrait se cacher derrière un voile couvrant le visage (ce qui est assez facile à vérifier sans s'en prendre aux droits de quelqu'un, comme expliqué ci-dessus) n'est pas une raison suffisante pour priver l'ensemble des femmes de celui-ci. De même, qu'une aire de fouille intégrale est nécessaire dans un aéroport n'est pas une raison pour exiger que quiconque se déplaçant dans celui-ci le fasse dans le costume qu'il portait à sa naissance. Invoquer un exemple spécifique pour justifier une mesure générale est fallacieux, mais, plus important encore, discriminatoire.
(NDLR : à propos de sécurité, même dans le village breton oùje me rends parfois, les deux agences bancaires sont aujourd'hui défendues chacune par un sas. Et même sans sas, je me demande quel est l'employé de banque qui ne déclencherait pas, après, deux braquages "à la burqa" dont l'un très largement médiatisé, tous les mécanismes de sécurité et blocages de caisse au vu d'un voile intégral (sans compter que de plus en plus de banques ne manipulent plus les espèces).

4) Ne pas être capable de voir le visage d'une personne empêche l'interaction sociale.

Pourquoi cet argument ne tient pas : Avez-vous déjà utilisé, ou entendu parler d'un téléphone? Il est parfaitement possible de communiquer en voyant très peu.

Pourquoi il est dangereux de gober cet argument : Cette affirmation est une prophétie auto-réalisatrice en ce qu'il prend tautologiquement le visage visible comme norme et partant de là, en y attirant l'attention, crée un problème là où il n'y a en pas . On pourrait soutenir de même que les lunettes solaires doivent être interdites pour la même raison, mais elles le ne sont pas. Pourquoi pas? Parce que nous avons appris à les accepter.

5) Le port de la burqa n'est pas nécessaire / requis par l'islam.

Pourquoi cet argument ne tient pas : "pas nécessaire" ne devrait pas automatiquementse transformer en «interdit».

Pourquoi il est dangereux de gober cet argument : Il est nécessaire de distinguer entre un choix lié à la mode (talons hauts contre appartements) et une option vestimentaire due à une croyance religieuse (kippa contre casquette de baseball). En d'autres termes, à un croyant, cela ne constitue pas vraiment un choix dans le plein sens, mais signifie simplement obéir à sa pratique religieuse, qui est dans ce cas, inséparable de la croyance, droit qui est, ne l'oublions pas, quelque chose d'accordé par les constitutions de tous les pays européens. Intervenir dans le système de croyances d'une autre personne afin d'introduire une ligne artificielle est un summum d'arrogance occidentalo-centrée.

6) Le port de la burqa est un signe de / mènera à l'islamisation de l'Europe.

Pourquoi cet argument ne tient pas : Ne vous inquiétez pas - la religiosité n'est pas contagieuse.

Pourquoi il est dangereux de gober cet argument : La laïcité en tant que concept / valeur ne dépend pas du nombre de personnes religieuses dans un pays ou leur forme de pratique. Permettre et encourager la liberté de religion n'est pas seulement compatible avec la laïcité, mais c'est une des pierres angulaires des démocraties européennes. La raison d'être de la laïcité n'est pas de favoriser les athées, mais de protéger tout le monde indépendamment des préférences religieuses, ainsi que d'assurer l'absence de participation du gouvernement dans les affaires religieuses et vice versa. Considérant que se couvrir le visage n'interfère pas avec le fonctionnement de l'Etat (pas plus que par exemple l'octroi du droit au respect des fêtes religieuses), interdire cet acte explicitement par la loi se rapproche dangereusement d'une atteinte à ce principe, et interfère avec avec les choix privés des citoyens.

7) Il opprime / humilie les femmes.

Pourquoi cet argument ne tient pas : Demandez une femme qui a choisi de porter une burqa si elle se sent plus humiliée de le porter en public, ou d'être contrainte par la loi de l'enlever.

Pourquoi il est dangereux de gober cet argument : Imposer un système de valeurs occidentales aux femmes voilées en affirmant que la libération égale exposer son corps «librement» au monde n'est pas justifié. Au contraire. Imaginez un scénario dans lequel une personne occidentale est forcée par la loi à exposer les parties de son corps qu'elle a été portée à croire honteuses ou tout simplement non destinée à un large public - même si ce n'est pas perçu comme tel par le public en général. L'effet psychologique d'une telle exposition pourrait être et serait terriblement humiliant. L'ironie de voir des "féministes caviar" considérer l'exposition du corps de la femme à la visibilité et à l'objectivation comme la clé de l'émancipation est tout simplement trop grande pour être ignorée. Le raisonnement exact derrière la visualisation d'un système dans lequel une femme est censée négocier sa position dans la société en mettant volontiers ses regards sous l'œil et le contrôle de la sphère publique comme moins oppressive ou humiliant pour les femmes que celui où le public ne détient aucun droit pour que le contrôle reste un mystère.

Les lois «burqa» belge et française content une triste histoire d'ignorance, d'incompréhension, d'arrogance, d'hypocrisie, de misogynie, de préjugés et de violence, toutes choses qui ne comptent en rien parmi ce que nous aimons à considérer comme les valeurs européennes. La xénophobie, enveloppée dans un emballage de liberté avec un cachet d'émancipation par dessus, reste un mal. Notre devoir en tant que fédéralistes - et en tant qu'êtres humains raisonnables - est de dénoncer les arguments trompeurs utilisés pour justifier des mesures iniques, et de nous y opposer, ainsi qu'à ce qu'ils cachent réellement. Alors, et alors seulement, nous pourrons commencer à construire l'Europe que nous voulons.

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8 commentaires:

Ph. Kieckens a dit…

Je ne crois pas non plus que cette loi soit idéale et permette de lutter plus efficacement contre le terrorisme, mais je pense sincèrement qu'il existe un volonté d'islamisation de l'Europe et l'Islam n'est pas compatible avec nos valeurs...

Anonyme a dit…

Je ne reviendrai pas sur tous les arguments évoqués, car j'y ai déjà consacré pas mal de pages ailleurs. Mais je voudrais revenir sur cette phrase "dont une bonne part sont des converties récentes, qui la portent donc plutôt par choix que sous la contrainte.". En quoi le fait d'être convertie garantit-il le libre choix ? Je connais plusieurs femmes converties sous l'influence d'un petit ami musulman, qui nous dit que ce petit ami ne leur impose pas sa propre vision de l'islam ?
N'y a-t-il pas une forme de racisme inversé dans le fait de considérer que si on est Française "de souche" on est forcément imperméable à la contrainte ?
Pour le reste, je reste sceptique devant l'argument du libre choix, en d'autres termes "si un individu choisit quelque chose librement, cela ne peut lui être interdit". Il me semble qu'au contraire, les lois consistent pour l'essentiel à interdire aux gens des choses qu'ils pourraient librement choisir de faire (tuer, voler, se balader à poil, ...).

Nadia Geerts

jean de Lesquières a dit…

Aurais-je tenu à mon insu des propos haineux, racistes, sexistes etc, pour que mon commentaire soit effacé sans autre procès ?
Mon intervention restait furtivement contributive, sans autre prétention. Elle a été publiée et commentée, ailleurs, sans être effacée. Je suis surpris et aimerait dissiper un mal comprendu, s'il y a lieu. Mon mail reste ouvert ...

Tom Goldschmidt a dit…

A Nadia :
1. "qui nous dit que ce petit ami ne leur impose pas sa propre vision de l'islam ?" . "Qui nous dit que"... n'est pour le moins pas un argument permettant de légiférer. Par exemple, "Qui nous dit que son mari n'a pas imposé telle tenue à son épouse" ne permet pas d'interdire toutes les tenues que l'on peut imposer, depuis la robe du soir à la mini-jupe !

2. Sur la liberté de choix : la direction du renseignement général a dénombré 367 porteuses de voile intégrale, dont un quart françaises d'origine. "Toujours selon les services du renseignement, la majorité des porteuses n'a pas été forcée, il s'agit de provoquer la société, voire sa famille" (Billet de Anne Lamotte sur France Info). 29/7/2009
A cet égard, une autre note de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) évoque "un phénomène marginal, concernant des femmes jeunes (moins de 30 ans), vivant le plus souvent en milieu urbain et volontaires -voire militantes- pour porter le voile intégral" .
(France Info,
http://www.france-info.com/france-societe-2009-07-29-367-burqas-en-france-selon-la-police-324716-9-12.html#ancreduplayer ).

Tom Goldschmidt a dit…

A Jean de Lesquières : je n'ai pas touché votre commentaire. J'en avais reçu copie par mail, donc je le republie. Je n'avais pas été averti par mail des deux autres commentaires, donc Blogger fait des bêtises.

Tom Goldschmidt a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Tom Goldschmidt a dit…

Jean de Lesquière, Grenoble m'a transmis ce commentaire :

Je reste abasourdi de ce que je viens de lire de Julia Mikic.
En préalable, sachez que je suis un ardent défenseur des libertés individuelles, mais la question de la burqà soulève de vraies questions sur le traitement des droits fondamentaux. Quand je veux demander l’heure à quelqu’un, lui demander mon chemin, ou juste m’assurer, d’un regard, qu’il a vu la voiture qui roule trop vite à sa proximité il me parait difficile de prendre mon téléphone pour le joindre quand bien même le numéro serait-il écrit en fluo sur le vêtement ! Si l’interdiction du vêtement, interdit aux femmes enburquées de sortir de chez-elles, le problème est ailleurs…
Plusieurs remarques : la burqà sur la voie publique heurte à plus d’un titre : Elle génère sinon un malaise, pour le moins une curiosité perceptible pour les autres dont les femmes qui ne la portent pas. De manière opposée, mais de même nature, cette curiosité est comparable à celle suscitée par quelqu’un qui se promènerait nu dans une rue, sous prétexte d’être libre de faire ce qu’il a envie de faire. Les deux prêtent à sourire ou à s’indigner selon l’humeur. Dans un cas comme dans l’autre je n’ai rien contre, si ce droit respecte celui des autres à ne pas se sentir gênés par cette attitude. Ma liberté doit s’arrêter là où commence celle des autres. Et c’est là que le bât blesse et que le paradoxe devient burquesque : La burqà est considérée comme l’expression d’une provocation teintée de prosélytisme, elle génère un rejet, stigmatise des ressentiments moins avouables et conduit aux conjectures les plus folles sur ce qui se passerait dessous… Alors que je me crois sain d’esprit et calmement raisonnable, il m’est venu une idée folle : Ce sera un moyen imparable pour les propagandistes de l’identité nationale de s’assurer des ralliements de circonstance (le temps d’une élection par exemple), si les burqàs se multiplient dans les rues ! Alors pourquoi ne pas imaginer ces activistes, en toute impunité, s’en servir eux-mêmes pour provoquer à leur tour une réaction ?
Nous sentons bien que la burqà est au cœur d’une polémique quasi esthétique : Ce vêtement, autant respectable soit-il, dans ce qu’il représente ne correspond décidément pas au décor public de nos démocraties occidentales. Hors des canons communément admis, il prône un exotisme difficilement appropriable par la majorité, celle qui fait les lois. Dans la tradition de nos villes de nos boulevards, l’art urbain propose une mise en vue, un espace de représentation et d’interactions sociales ; la burqà est à l’opposé. Nos transports, nos bureaux, sont largement vitrés et ouverts, suggèrent le rien à cacher ; la burqà suggère l’inverse. En contre partie, l’espace privé est sacralisé et protégé ; la burqà dans la rue pousse à s’interroger sur la vie privée, cette autre réalité, encourage des curiosités et de multiples ingérences qui menacent la vie privé dans son principe. Dans l’esprit du temps sous nos latitudes, il semble globalement partagé que l’espace public, doive rester public ; c’est-à-dire, par nature, ouvert au regard et au contrôle des autres. La burqà ne s’y prête pas. Elle tente, au contraire, de prolonger l’espace privé dans l’espace public (au mêm titre que la nudité dans la rue) et comme un corps considéré étranger à l’organisme, engendre une réaction immunitaire. Ce problème reste bien en deça d’un hypothétique rejet de différences religieuses et va bien au-delà des arguties juridico-justificatives, de Julia Mikic…Je pense.
Par ailleurs, bravo pour ce blog …

Tom Goldschmidt a dit…

A Jean de Lesquières : vos remarques pertinentes ne permettent en rien à une démocratie de légiférer. Qu'une tenue soit antipathique (et à partir de combien de personnes qui la jugent telle ?) ne permet pas de l'interdire. Le message SM de certaines tenues gothiques se prête à des commentaires peu enthousiastes, il serait désastreux de les interdire. Dans les années 60, certaines personnes qui estimaient que les cheveux longs pour les hommes attentaient aux valeurs de la famille etc. trouvaient normal de tondre de force l'un ou l'autre beatnik, et estimaient qu'en le faisant, ils suppléaient à un Etat déficient.