jeudi 11 février 2010

La Candidate Voilée Du NPA (Vidéo)


On ne s'y serait pas attendu, mais apparemment, l'aspect le plus important des prochaines élections régionales françaises ne concerne pas l'UMP, ou le PS, ou le Modem... Non, les projecteurs se concentrent sur le NPA, le Nouveau Parti Anticapitaliste.
- Ah, l'Ile de France, où Besancenot est tête de liste ?
- Tu n'y es pas. L'essentiel se joue dans le Vaucluse. Et encore : ce n'est pas la tête de liste qui joue son intéressante dans les media, c'est la quatrième place.
- Attends, tu plaisantes, les feux de l'actu pour la quatrième place, non éligible, sur la liste du Vaucluse d'un parti qui a fait 5 % aux européennes ?
- Ben, on dirait. En tout cas, je n'entends parler que de ça.

Cette campagne a en effet créé une nouvelle vedette, fait connaître une tête, celle d'Ilham Moussaïd. Parce que cette tête porte un voile.


La Suite De L'Article

Ilham Moussaïd, Avignonnaise, 22 ans, a adhéré au NPA il y un an, devenant rapidement - tâche ingrate - trésorière départementale. Ce n'est donc pas une militante aguerrie formée sur les bancs de la LCR, dont descend (partiellement) le NPA. Ses camarades ne cachent pas que sa place sur la liste est partiellement due à son profil de musulmane issue des quartiers populaires. L'un de ses proches politiques déclare à Libération : «On savait que ça allait lancer le débat. On ne l’a pas proposée à la candidature seulement parce qu’elle a un voile sur la tête. Mais c’était un élément on va dire complémentaire

Question de lancer le débat, la section avignonnaise est servie. Si l'on peut parler de débat. L'éruption ne fait pas dans la nuance. Le secrétaire général de l’UMP Xavier Bertrand parle de manipulation, de provocation et d'"attitude profondément répréhensible" (était-il aussi indigné quand Nicolas Sarkozy déclarait fort peu laïquement que “l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur” ?). Aurélie Filippetti, députée PS, déclare que les ouvriers de France "n'ont pas besoin qu'on leur dise d'aller lire le Coran ou la Bible", ... ce que la candidate du NPA n'a pourtant jamais fait ! Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la Famille et de la Solidarité dénonce «un coup médiatique contre les valeurs de la République» et accuse le NPA ... de trahir Marx (Nadine Morano s'est illustrée voici peu en déclarant qu'elle attendait, d'un jeune musulman français, "qu'il trouve un travail, qu'il ne parle pas le verlan, et qu'il mette pas sa casquette à l'envers"). Président du conseil régional d'Île-de-France, Jean-Paul Huchon (PS) déclare : "Ça me paraît énorme! (...). C'est le signal d'une curieuse conception de la République". "Incompréhensible et inadmissible", affirme François Hollande, PS.
La palme du délire revient à Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes et représentante de Riposte Laïque, un mouvement qui glisse régulièrement dans l'islamophobie, la vraie : pour elle, le NPA "adhère à un symbole, le voile islamique, qui, sous toutes les latitudes, signifie ségrégation entre les sexes, invisibilité du corps des femmes dans l’espace public, statut de second rang pour les femmes. (...) Le NPA se solidarise avec les pires dictatures, au premier rang desquelles la République islamique d’Iran".
Dernière Minute : la palme du délire n'appartient plus uniquement à Annie Sugier. Elle la partage désormais avec Sihem Habchi, puisque je découvre dans Libération : "Sihem Habchi, la présidente de Ni Putes ni soumises veut porter plainte «contre cette liste du NPA sur laquelle figure une femme voilée qui a annoncé son intention de rester voilée»: Ilham Moussaïd, étudiante portant un foulard, en quatrième position sur la liste du parti d’Olivier Besancenot dans le Vaucluse. «Il n’est pas question d’arborer un symbole religieux alors qu’on a, en tant qu’élue, une obligation de neutralité et de réserve», a-t-elle invoqué hier, dénonçant à l’AFP une «attitude antiféministe, antilaïque et antirépublicaine». Sur son site, l’association annonce son intention de «porter plainte auprès de la juridiction compétente contre cette liste antilaïque, antiféministe et antirépublicaine!».
Marie-George Buffet (PCF) s'est dite choquée. Jean-Luc Mélenchon, leader du Parti de Gauche, énonce : "Il ne faut pas se tromper : elle a le droit de pratiquer, mais pas dans la sphère politique." Il faut « tirer les leçons de l'Histoire de France (…) parce que nous avons connu trois siècles de guerre de religion » (Il me semble que si on craint leur retour, interdire à une candidate un signe de sa foi est plutôt propre à les rallumer) et ajoute : "Lorsqu'on veut être élu, il faut pouvoir représenter tout le monde. C'est donc une erreur de participer à une élection en affichant une appartenance religieuse qui rend impossible cette représentation du souverain dans son ensemble". Nous touchons ici à un grand mythe qui est que l'élu représente la Nation dans son ensemble. Qu'il est porteur d'une tâche qui émane de la collectivité, c'est une chose. Venir affirmer pour autant qu'un député du Front National représente les immigrés après avoir scandé "Deux millions d'immigrés, c'est deux millions de chômeurs ! ", ou que les grands patrons se sentaient représentés par Alain Krivine quand celui-ci siégeait au Parlement Européen, tient évidemment de l'absurdité. La Belge Mahinur Özdemir a évidemment raison de dire : "Un parlementaire ne peut pas représenter la nation à lui seul. C'est le Parlement dans son ensemble qui est censé le faire".
Par ailleurs, quand Jean-Luc Mélenchon discourt avec hauteur, il arbore fort ostensiblement son costume-cravate, symbole de conformisme, de sujétion à l'uniforme imposé, symbole phallique, et pour d'innombrables colonisés symbole du colonialisme. Je ne vois pas pourquoi je pourrais me sentir représenté par un homme qui porte cravate mieux que par une femme qui porte foulard.

PS et PCF Aussi !

Bref, un front de la colère réunissant des composantes fort diverses. La surprise est d'autant plus grande pour l'observateur naïf quand il lit que malgré leur indignation, le PS "a une conseillère municipale voilée à Creil (Oise) (Maïmouna Mbaye, photo de gauche) et le PCF à Echirolles (Isère)" (Mechta Besma, photo de droite). Cette intéressante information est fournie par Vincent Tiberj, chercheur à Sciences-Po et au Centre d'études européennes, que "Le Monde" présente comme spécialiste de l'extrême gauche et de l'immigration en publiant une intéressante interview de ce chercheur, sous le titre "Si les partis considèrent que les quartiers ne doivent plus être des déserts politiques, ce débat va se poser". V. Tiberj ajoute : "Les musulmans représentent une minorité qui vont vouloir aussi s'insérer dans un parti. Il ne faut pas s'arrêter aux préjugés : selon nos études, les musulmans sont autant sinon plus attachés à la laïcité que les catholiques !" On pourrait répondre que le voile n'est pas une obligation coranique, contrairement à ce que répètent de nombreux prédicateurs, mais hélas cette vérité - qui progresse - mettra encore un certain temps à s'imposer largement. Peut-on attendre que la majorité des femmes musulmanes renoncent à se voiler pour leur permettre de s'impliquer dans la vie citoyenne ?

Or, il faut être logique : ce qui compte, est-ce le bout de tissu ? Non, répondent en choeur les détracteurs, c'est ce qu'il représente, l'aliénation de la femme imposée par une religion. OK. Louable radicalisme. Pourtant, Ilham Moussaïd se présente comme féministe, pour la laïcité, le droit à la contraception et l’avortement, contre l'homophobie. N'empêche, parce que et uniquement parce qu'elle s'affiche comme musulmane, la voilà présentée au contraire comme symbole de ce qu'une lecture fondamentaliste de l'Islam porte, effectivement, d'oppresseur pour les femmes. Mais enfin, l'islam n'est pas la seule religion porteuse d'aliénation pour celles-ci. Entre le Vatican et les convictions féministes, il y a un gouffre. Mais alors, il faut, au nom de la lutte contre l'aliénation des femmes, ne pas accepter sur les listes de député chrétien ! A moins bien sûr de tomber dans l'hypocrisie extrême de dire "Ce qui importe, ce n'est pas ce qu'ils pensent, ce qu'ils vont voter, c'est simplement le signe extérieur". D'ailleurs, où commence le signe extérieur ? A-t-on bien vérifié qu'aucun/e candidat/e ne porte au cou une petite croix ? Qu'aucun d'entre eux n'a fait sa communion ? Qu'aucun ne va à la messe - signe parfaitement ostentatoire, puisque tous les assistants pourront constater que madame la conseillère ou monsieur le député sont de bons pratiquants ?
Ce qui ne veut pas dire qu'ils suivent pour autant les préceptes de Rome : Ségolène Royal, catholique pratiquante, défend néanmoins l'accès à la contraception. Le blog qui nous le fait remarquer ajoute l'exemple de "François Bayrou, fondateur de feu “Parti Démocrate Chrétien”, un autre croyant proclamé et assumé, pourtant favorable a l’adoption par les couples homosexuels", Il rappelle aussi que l'Abbé Pierre siégea comme député - en soutane - avant de fonder le Mouvement Emmaüs, association laïque.Ajoutons l'immense différence entre la papauté et la Théologie de la Libération, si active en Amérique Latine, ce continent où des prêtres prirent les armes dans les mouvements révolutionnaires. Comme quoi ce n'est pas parce qu'on pratique une religion qu'on est nécessairement courroie de transmission de ses dirigeants et ennemi de la laïcité.

Un Débat Interne Houleux

Ce qui n'empêche qu'à l'intérieur du NPA même, le débat a également été et est houleux. La présence d’Ilham Moussaïd - qui refusa de retirer son foulard - sur la liste a fait démissionner trois colistières, après une assemblée plus que tendue. Une douzaine de candidats démissionnent à leur tour des listes, dans d'autres régions. Pourquoi ? Parce que le voile reste aux yeux des militants un symbole d'oppression à l'égard des femmes, mais aussi parce qu'est en jeu une tradition laïque puissante dans l'héritage de la LCR."Même si des camarades ont une interprétation progressiste de leur foi, que nous saluons, il n'empêche que les systèmes religieux demeurent de terribles instruments d'oppression.", écrit la minorité vauclusienne dans un communiqué.
La direction nationale zigzague, défend (elle n'a guère le choix) les majoritaires vauclusiens, mais regrette publiquement que la décision ait été prise au niveau régional sans que l'ensemble du parti en ait été informé, ajoutant que le choix d'Avignon "ne peut faire office de position pour l'ensemble du NPA". Et le ton de Besancenot déplorant les relents d'islamophobie a des accents défensifs qui sentent la gêne aux entournures. Il ajoute “Ilham est la preuve qu'on peut être au NPA et porter le voile”. Le parti rappelle néanmoins que "le foulard est non seulement un symbole religieux visible mais il est également un instrument de soumission des femmes ".
Le communiqué publié par le NPA ne nie d'ailleurs en rien les remous internes. Il rend simplement quelques coups, sous le titre "Le Bal Des Hypocrites", renvoyant Aurélie Filipetti au texte de Marx, ou notant : "Mais sur la question de la laïcité, on croit rêver ! N’est-ce pas le Parti socialiste qui a subventionné main dans la main avec la droite à coups de millions d’euros les écoles privées confessionnelles, notamment catholiques ? "Quant à l'entretien accordé par Alain Krivine, dirigeant historique, au "Monde", on demandera poliment au quotidien de ne pas le publier - signe qu'il aurait pu révéler trop crûment quelques tensions internes -.

En novembre, un congrès du parti devra se pencher sur les rapports complexes entre militantisme, laïcité et religion. Ce sera chaud : les enjeux sont lourds. Si le NPA parvient à gagner quelques positions dans les quartiers populaires, d'autres filles voilées rejoindront ses rangs. Peut-on imaginer leur dire : "Tu peux adhérer, militer, mais pas être candidate ? ". C'est pratiquement impossible. Mais, peut-on répondre, le voile est bel et bien un signe infériorisant, même si certaines musulmanes progressistes ne le vivent pas ainsi. Le NPA, qui se veut héritier de la tradition féministe de la LCR, peut-il être représenté par des femmes qui portent pareil symbole ?
Sans compter un danger, potentiellement mortel, de lâcher la proie pour l'ombre. Pour les trotskistes, dont ceux membres de la LCR mais aussi d'autres courants ont rejoint le NPA, le travail au sein des syndicats est central, vital. C'est l'ancrage au sein de "la classe" qui s'y joue, c'est là qu'on noue un rapport organique avec les travailleurs. Or, dans les organisations syndicales (et a fortiori dans leurs commissions "Femmes"), le foulard, ça ne passe guère. "Ce matin, je suis passé à mon syndicat. Aussi sec, on m’a interpelé sur le voile", note un militant. Et il n'est certainement pas seul à craindre que l'orientation vers "les banlieues" éloigne le NPA de ce qui a coûté des décennies d'investissement aux militants de la LCR, l'enracinement dans les organisations de travailleurs. L'Histoire se répète plus ou moins : au début des années '70, la Quatrième Internationale (trotskiste, dont la LCR faisait partie) avait donné une priorité à l'orientation vers l'Avant-Garde Large : mouvements étudiants et lycéens, féministes, d'homosexuels, anti-militaristes, anti-nucléaire. Le projet n'était pas d'abandonner l'idée du rôle central du prolétariat, des salariés, mais de construire un parti révolutionnaire "de la périphérie (NB : l'Avant-Garde Large) vers le centre (NB : les salariés)". N'empêche qu'il fallut corriger le tir dans les années '80 face à un manque d'implantation dans les grandes entreprises. Ce fut l'époque du "tournant ouvrier", avec priorité renforcée au travail syndical et envoi de militants vers les usines, ceci comme les maoïstes - mais beaucoup plus tard et beaucoup trop tard, ne serait-ce que parce que s'implanter était bien plus difficile alors, à cause du manque d'emplois - .
Aujourd'hui, le NPA - par définition - ratisse plus large que la feue LCR : la place prise dès lors par écologie, homosexualité, sans-papiers, intervention vers les quartiers populaires, semble susceptible d'inquiéter certains militants qui craignent que l'on perde à nouveau la boussole. L'un d'entre eux s'étrangle quand il entend lors d'une réunion proférer « Ne nous emmerde pas avec tes syndicats ! », phrase inimaginable à la LCR, mais qui passe ici sans réaction.

Les musulmanes non voilées n'aiment pas !

Pierre-François Grond, membre de la direction nationale : «Si une femme voilée vient nous voir et porte un discours inégalitaire, il n'y a pas de problème, elle n'a pas sa place chez nous. La difficulté politique, c'est quand une femme voilée nous rejoint et porte un discours en adhésion avec nos principes. Ici, il ne s'agit pas de la laïcité à l'école, mais d'un choix religieux d'adulte consentant.» (NB : comme nous l'avons rappelé ailleurs, Grond est un peu le parrain de la loi bannissant les signes religieux des écoles, faisant exclure d'un lycée deux élèves qui refusaient d'enlever leur foulard).
Anne Leclerc, membre du comité exécutif du NPA, qui déclare qu'elle a mené des formations au féminisme «très enrichissantes et pas du tout passionnées» avec Ilham Moussaïd, explique : : «Il y a aussi chez nous des musulmanes non voilées, qui sont croyantes mais opposées au foulard. Et elles vivent très mal, peut-être même plus mal que nous, le fait de voir une candidate du NPA voilée. Pour une fille comme Fahima Laidoudi, qui est membre du comité politique national, les vraies questions sont la précarité et le chômage, et le voile une diversion.» Elle constate : «Rien n'a été codifié sur cette question au lancement du NPA. On a bien sûr comme principes fondateurs la laïcité et le féminisme, mais on ne s'est pas posé la question de la religion». Ce n'est pas la première à constater que la question de la laïcité et du rapport entre religions et libération a été, au NPA, laissée dans les tiroirs. La chose est encore compliquée par le fait que dans les "quartiers" aussi, des progressistes, des féministes, sont choqué/es par le voile, choqué/es aussi par une attitude qui suppose que les banlieues sont dominées par des musulmans plutôt fondamentalistes.
L'en voilà sortie. Le congrès prévu du 11 au 14 novembre 2010 ne sécrétera pas l'ennui. On ne peut accuser en tout cas le NPA de pratiquer la langue de bois, mais les circonstances ne lui ont guère laissé le choix. En tout cas, il y a débat. Il y a reconnaissance des difficultés, des contradictions. Il y a réaffirmation que "le foulard est non seulement un symbole religieux visible mais il est également un instrument de soumission des femmes". On comparera avec intérêt cette attitude à celle de la LCR belge, qui s'est inscrite sans ombre de distanciation dans le sillage des islamistes en faisant totalement l'impasse sur cet aspect oppresseur, et sur la nécessaire solidarité avec les jeunes filles qui dans les écoles sont obligées, par une pression souvent violente, à s'habiller comme le veut une tradition non pas coranique mais machiste.
Cela dit, je ne sais pas - manquant quand même d'informations de première main - ce que j'aurais voté si j'avais été militant NPA du Vaucluse : Ilham sur la liste ou pas ?
Ce qui ne change rien à l'impérieuse nécessité d'obtenir l'interdiction du port des insignes religieux ostentatoires dans les écoles de la Communauté Française de Belgique. Comme l'écrivait un membre du NPA, partisan de la loi "Ecoles-Foulards" française, mais indécis face au "cas Ilham" : "Ilham, avec son foulard, elle est à la télévision, pas à l'école".

Ilham, à la télévision, la voici :



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1 commentaire:

P. Gaudin a dit…

Bonjour à tous et à toutes,
il me semble, à la lecture de toutes ces infos (candidate NPA en France, représentante Ecolo en Belgique, élue au parlement que le port des signes religieux de manière explicite (toutes trois ont exprimé des motivations clairement religieuses au port de ce foulard) se banalise... il est vrai que la laïcité ne sert à rien, surtout pas à donner le droit à chacun de croire, en son âme et conscience.
Et de plus, apparemment aussi la foi se politise, puisqu'elle se "publicise"... A moins que ces représentantes politiques, aient oubliés le sens, et la dfocntion qu'elles occupent... quel progrès !