mardi 30 juin 2009

Özdemir : Le Foulard Des Uns, La Cravate des Autres


Décidément, la Belgique francophone est en émoi et le foulard de Mihanur Özdemir flotte dans un joli vent de contre (MR, certains défenseurs de la laïcité) et de pour (en bref, les autres). Les émissions dominicales de la RTBF comme de RTL y ont consacré beaucoup de temps ce dimanche. La jeune (26 ans) députée a un peu coupé l'herbe sous le pied de ses opposants en déclarant d'entrée de jeu : "Je suis pour la séparation des sphères politique et religieuse" , mais il en faudrait beaucoup plus pour désarmer ceux qui, comme Denis Ducarme, veulent modifier le réglement des assemblées parlementaires pour y interdire le port des insignes religieux voyants.

On lit, on entend que le foulard au Parlement représenterait une immixtion, par un signe, du religieux dans le monde du politique. Faut-il rappeler que pendant des décennies, l'un des partis dominants s'est appelé Parti Social Chrétien ? Les mots étant bien des signes ("Les mots sont les signes de nos idées"), il aurait donc fallu interdire à ses représentants l'entrée du Parlement ! De plus, ses élus étaient explicitement là pour défendre des valeurs inspirées par leur religion, ce qui n'est pas le cas de Mihanur Özdemir (contrairement à ce que certains commentaires laissent entendre). Quand F. Dewinter demandait que l'Islam soit rayé des religions reconnues, il prenait bien plus position sur le plan religieux que la jeune schaerbeekoise. Comment pourrait-on nier que le religieux était central sur la question de l'avortement, ou les questions scolaires ? C'est ce que Nadia Geerts néglige quand elle déclare au nom du RAPPEL (Réseau d'Actions pour la Promotion d'un Etat Laïque) : "Les parlementaires sont là pour défendre des idées politiques, pas des idées religieuses". Ce serait étonnant et fort discriminatoire d'interdire une expression de conviction religieuse sous prétexte qu'elle est textile alors que le religieux pèse ailleurs si ouvertement sur les prises de position politiques. On voudrait, à tort, faire régner au Parlement les obligations qui doivent bien, en revanche, être respectées dans l'exercice de la fonction publique ou de la part d'élèves. Un parlementaire et un fonctionnaire ou un élève ont des rôles radicalement différents. (Il est intéressant que le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme reconnaisse la distinction entre les situations d'un fonctionnaire et d'un parlementaire ).

Introuvable Neutralité

Il flotte d'ailleurs sur cette polémique une représentation mythique du débat politique : une fois dans l'hémicycle, les parlementaires seraient tous ouverts à tous les arguments, sans la moindre partialité préalable, ne se décidant qu'après avoir pesé le pour et le contre, sans idée préconçue, bref, neutres. (Nous avons commenté ce mythe ailleurs). Et cette neutralité serait rompue, m'a-t-on écrit, si une tenue vestimentaire affichait d'entrée de jeu que le religieux prime.

Cet angélisme (si j'ose dire en l'occurence) contredit la réalité. Sur la présence de symboles religieux : Germain Dufour, ancien sénateur Ecolo, siégeait avec sandales et croix. Il n'a pas été le seul prêtre élu dans nos assemblées, a rappelé Isabelle Durant. Mais plus généralement, comment prétendre que le débat parlementaire se ferait sans signe évident d'appartenance ? Les représentants sont élus après que des milliers d'affiches ont claironné cette appartenance (le plus souvent comme seul argument). Ils sont élus sur base et via leur appartenance à une liste de parti. Cette appartenance est affichée à l'extrême, au Parlement, puisqu'ils sont groupés par appartenance. Ils ont une discipline de parti et des chefs de groupe. Et ils n'auraient pas de signe évident d'appartenance ???
(Epinglons au passage ce commentaire dans le courrier des lecteurs de la Dernière Heure : "Le voile, dans ce lieu populaire hautement démocratique, est-il plus dérangeant ou excusable que la soutane au moment du sacre d'un roi des Belges ? Cette soutane qui, ne l'oublions pas, passe en ordre de priorité avant le Premier ministre d'un Etat où théoriquement la Constitution sépare le goupillon de la couronne").

"Cette Cravate Que Je Ne Saurais Voir"


Mais pour en revenir aux signes d'appartenance, il en est un qui fleurit sur les bancs parlementaires, et qui n'a jamais suscité l'indignation du moindre parlementaire...
Avez-vous déjà lancé une recherche Internet sur "cravate + symbole" ? La cravate, ce signe d'autant plus distinctif que l'ouvrier ne le porte pas.
La récolte est richissime :

- cravate, symbole de l'esclavage européen
- cravate, ce symbole du pouvoir blanc
- leur cravate, c'est un symbole d'oppression ...
- le symbole de toutes les humiliations hiérarchiques
- symbole machiste
- la cravate est le symbole du totalitarisme
- symbole par excellence de tout ce que j'execre...
- symbole d'aliénation
- Le costume-cravate est bien l'uniforme sexuel-répressif caractéristique et emblématique de la Révolution Industrielle.
- symbole répressif-sexuel inconscient
- symbole du carcan bureaucratique
- cravate (symbole du pouvoir masculin !
- symbole mâle par excellence, utilisée pour étrangler les petites pépées londoniennes (Frenzy), est clairement un outil de viol. ...
- la cravate (symbole de l'occident)
- symbole de la morale débridée de l'Occident
- symbole du conformisme
- symbole de soumission du salarié à son entreprise
- symbole et porte-étendard de tout ce qui est abject, répugnant et ignoble pour la rétine.
- symbole de la décadence occidentale
- l’exemple anachronique et symbolique du conformisme de la tradition.

Etc. Bref, la cravate est détestée par une fraction non négligeable de la population, pour des raisons sérieuses et respectables. Or, au mépris de toute neutralité, elle règne sur les travées ! (Vincent Decroly, en t-shirt contestataire, fut vidé manu militari, non pour ce qui était marqué sur le tissu, mais parce que, dit M. De Croo, "il était en singlet"). Que dirions-nous d'un Parlement où le Président imposerait la djellaba et interdirait à un député de siéger en veston, mais prétendrait défendre la neutralité ? Pareille neutralité me paraît une neutralité qu'on veut imposer à d'autres et qu'on ne respecte pas soi-même. Si l'on veut faire régner dans certaines communautés l'impression d'être l'objet d'une discrimination, c'est la voie pour y parvenir.

A quand une pétition, un groupe Facebook, des interventions parlementaires, pour exiger que le costume-cravate soit mis au ban des Parlements ?

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Mots-clef : özdemir, foulard, ducarme, règlement, parlement, cravate

2 commentaires:

Horum omnium a dit…

le monsieur à la cravate n'avait il pas menti sur ses diplomes ? N'avait il pas attaqué un journaliste qui avait dévoilé le pot aux rose ?
La dame au foulard n'a-t-elle pas déclaré être exclue pour sa religion ? N'a-t-elle pas évité de répondre aux questions sur le génocide des Arméniens ?

Jean-Pascal Ledoux a dit…

Bravo Tom, tout est dit...