mardi 28 avril 2009

Combien gagne un député ? Et un grand patron ?


Voici peu (17/04/09), l'agence Belga publiait les résultats d'une enquête publiée par le Centre de recherche et d'information socio-politiques (Crisp), réalisée par le politologue Jean Faniel. On y apprenait entre autres qu'un ministre gagne 11.000 euros par mois et un parlementaire près de 5.500 euros par mois ; les chefs de groupe, les présidents de commissions parlementaires, les questeurs et les secrétaires gagnent plus que ce parlementaire "standard". Les présidents du Sénat, de la Chambre et du Parlement flamand gagnent pratiquement 16.000 euros par mois, soit davantage que le Premier ministre.
Vous trouverez les résultats détaillés entre autres ici .
L'article a l'avantage de ne pas simplement reprendre la dépêche Belga, ce qu'ont fait pas mal de journaux. Il montre que les systèmes utilisés pour déterminer ces rémunérations sont assez complexes, mais là n'est pas mon propos.
Ce qui m'a frappé, c'est la vague de réactions indignées provoquées par ces chiffres.

- Hé mec, t'as mal lu l'article ? Tu sais à combien s'élevait le salaire minimum en 2008 ? 1.070 euros nets par mois ! Tu comprends pas que des gens suffoquent en faisant la comparaison ?


Si, je le comprends d'autant mieux qu'il faut y ajouter parfois des avantages (voiture avec chauffeur pour les ministres, notes de frais...). On peut quand même préciser que certains parlementaires rétrocèdent de gros pourcentages à leur parti (50% chez Ecolo). Non, ce qui me frappe, c'est à quel point on s'énerve vite concernant les hommes / femmes politiques, et à quel point on baigne dans une douce indifférence concernant le privé. Pourtant la même étude note : « En moyenne, les dirigeants des plus grandes entreprises privées belges gagnaient, en 2007, plus de 60 000 euros mensuels nets, compte non tenu de certains bonus. Cela représente près de six fois le revenu du Premier ministre ». Et les dirigeants des principales entreprises publiques touchent beaucoup plus que leur ministre de tutelle.
Encore une rasade ? Axel Miller, ancien patron de Dexia, vient de toucher un an de salaire, soit 825.000 euros, comme prime de départ, moins que nombre de ses confrères (et nettement moins que prévu, mais le contexte de la crise obligeait à un peu de décence). Son successeur touche un salaire fixe d’un million d’euros par an. Thierry Morin ex-président directeur général de la société Valeo (Fr) de mars 2003 à mars 2009, a reçu une indemnité de démission de 3,2 millions d'euros. Il est devenu président du conseil d'administration de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), ce qui je pense est honnêtement rémunéré aussi. Un cours français d'économie daté de 2003 note "À l’intérieur de chaque catégorie, il y a aussi des écarts importants, notamment chez les cadres où les salaires nets peuvent — chez certains dirigeants — atteindre 2,1 millions d’euros par an. " Ce chiffre a certainement grimpé depuis puisque toutes les statistiques économiques notent une diminution croissante dans les pays industrialisés des revenus les plus bas et une augmentation croissante des revenus les plus élevés, y compris en Belgique (en français simple : les pauvres s'appauvrissent, les riches s'enrichissent). N'oublions pas évidemment pour ce type de fonctions les revenus d'action, les primes... Et on ne parle ici que de revenus imposables !!! Quand on sait quels miracles fait l'ingénérie fiscale...
Les milliardaires (pas millionnaires, milliardaires) en euros étaient 33 en 2005 en France, selon la revue Challenges, dont le rédac-chef, auteur de : "Les 200 familles qui possèdent la France", note lui aussi que les très riches sont de plus en plus nombreux. Encore ne parle-t-il que des fortunes professionnelles.
En regard, le salaire moyen d'une ouvrière est situé en 2003 à 12.348 € . Moyen ! Donc certaines ouvrières gagnent beaucoup moins. Et nous ne parlons pas des pauvres...

"J'irai cracher sur vos bancs parlementaires" ?

Pourtant, à part quelques vagues soulevées par les parachutes dorés, c'est au monde politique que vont les crachats. Ô triomphe de l'idéologie ! Un député - même libéral acharné à détricoter la fonction publique - c'est du public, donc du paresseux, du jean-foutre, du qui s'engraisse à mon détriment. Un PDG, c'est du privé. Et le privé, tout le monde le sait, c'est efficace, c'est géré par la loi du marché qui fait que la somme des intérêts privés ne peut que concourir à l'intérêt général, ça ne peut être que bon.
J'ai lu quelquefois des posts qui proposaient une solution simple et de bon sens : "Que les policitiens soient payés au résultat ! ". Phrase pleine de vigueur qui néglige un détail, c'est qu'il faut définir "un résultat". Or un membre du personnel politique est élu pour appliquer un programme, ce qui entraîne qu'un "résultat" n'a pas du tout la même signification pour un élu libéral, ou Ecolo, ou communiste.


- Mais allez non, onnûzel, fais pas semblant que t'as rien compris ! Le résultat, c'est l'efficacité économique !

Le problème, c'est qu'il est impossible de définir l'efficacité économique. Un critère classique, c'est le Produit Intérieur Brut (P.I.B.), somme des valeurs des biens et services produits en un an. Un accident de voiture, l'écroulement d'une rue, ... impliquent des prestations qui vont être payées, donc augmentent le Produit Intérieur Brut. Donc les membres d'un gouvernement qui laisse la voie publique se dégrader et la sécurité routière aller à vau-l'eau mériteraient un bonus, puisque leur politique augmente le P.I.B. ! Un gouvernement qui accepte de creuser la dette publique pour relancer l'emploi fait-il preuve d'efficacité économique ? Il n'y a pas de réponse absolue... L'efficacité de quelle économie ? Une qui respecte d'abord le rendement des actions, le P.I.B., ou le bonheur de vivre, le respect de la planète ? On pourrait multiplier les exemples. Ce qui me frappe, c'est que les pertes d'emploi se comptent par centaines de milliers, les gens ruinés aussi, les salaires réels sont en chute, pour le profit d'actionnaires dont les gains augmentent à chaque licenciement, les gens qui mettent les autres à la poubelle touchent des primes invraisemblables... Et pourtant, nombreux sont toujours ceux qui semblent croire que les pires profiteurs sont sur les bancs des Assemblées.
T'ention, hein, je ne dis pas qu'il n'y en a pas, et de solides, ni que dans le paradis socialiste dont je rêve parfois en m'endormant, les fonctions politiques seraient payées au même tarif qu'aujourd'hui !


Mots-clef : démocratie, parlement, ministres, salaires, parachutes dorés, privé, public



3 commentaires:

Anonyme a dit…

Monsieur Goldschmidt,
Cet article est on ne peut plus pertinent, je pense. J'ajouterais toutefois un point : l'important n'est pas de savoir combien on paie nos édiles ou nos chefs d'entreprises. L'important, c'est de savoir si ils rapportent plus qu'ils ne coûtent. 10 euros donnés pour qu'ils soient perdus, c'est cher payé. 1000000 euros donnés pour qu'ils en rapportent 10000000, c'est bon marché. Si l'on engage des chefs d'entreprise ou si l'on élit des édiles, c'est pour qu'ils rapportent plus qu'ils ne gagnent, car dans le cas contraire, leur seule rémunération entraînerait leur entreprise ou l'Etat dans les pertes. Tout travail mérite salaire, mais tout salaire mérite travail. Et si nous devions porter à la connaissance des travailleurs et des citoyens les salaires des chefs d'entreprises et des édiles, ce n'est pas pour que ces travailleurs et citoyens en critiquent les montants, c'est pour qu'ils puissent se faire un avis en confrontant le montant et son rapport. Certains ont voulu s'essayer à quoter le travail de nos édiles ou des chefs d'entreprises, sur base de méthodes valides ou pas, et se sont vus toutefois "censurés". C'est là une autre composante d'information laissée à la libre interprétation du citoyen ou des travailleurs. Au travailleur et au citoyen à se forger un avis à la fois sur le salaire et sur le résultat et à en juger pour lui la rentabilité.

Pierre Fendregella.

Olivier a dit…

Bonsoir,

Il faut savoir que lors de la création de la Belgique, il était question de ne pas rémunérer les députés, en effet, beaucoup pensaient que pour être député il fallait être parfaitement désintéressé.

Second point, la ou le patron d'une grosse entreprise y consacre probablement 12 h à la dizaine, le député peut largement cumuler un poste de mayorat, une profession d'ordre privé (avocat, chirurgien, etc), tenir plusieurs casquettes rémunérées ou non dans des conseils d'administrations.

C'est déjà nettement moins évident pour un patron du privé.

Troisième point, le choix d'oeuvrer en politique est d'abord un choix personnel, celui de vouloir consacrer son temps à la collectivité (en principe).

Sont-ils trop ou pas assez payés, tout est relatif, notamment dans la mesure ou des revenus de 5 à 10.000 euros nets accompagnés d'avantages divers, permettent en principe de vivre correctement.

Un fait évident, en théorie et en gardant une probité permanente, pour devenir riche, ne devenez pas mandataire politique, mais ca, tout le monde le sait non ?

Ceci amène une autre question, un politicien est-il un entrepreneur raté ou un saint désintéressé de la bonne fortune ?

Tom Goldschmidt a dit…

:-)
Une petite nuance cependant :"la ou le patron d'une grosse entreprise y consacre probablement 12 h à la dizaine, le député peut largement cumuler..." écrivez-vous. Il en va de même dans le monde des affaires, où certains sont présents dans de multiples conseils d'administration...