vendredi 9 janvier 2009

Le Hamas et sa Charte


L’article reproduit dans le post précédent (donc, ci-dessous, pas ci-dessus) explique que la popularité du Hamas a des racines sociales. Cela ne veut pas dire que les bases idéologiques du mouvement seraient pour autant progressistes. Un coup d’œil sur la Charte du Hamas prouve vigoureusement le contraire ! Attention néanmoins : ce texte date de 1988. Il y a pour le moins de très grandes différences entre sa lettre et certaines orientations plus récentes – en fait, des zigzags caractéristiques des organisations tiraillées entre des directions divergentes. On peut même dire que les propos des leaders sont parfois extrêmement contradictoires, y compris sur des questions de principe.

Certaines déclarations laissent apparaître une acceptation de fait de l’existence d’Israël. Il est question d’une trêve de longue durée si Israël évacue les zones occupées depuis 1967 et accepte l’existence d’un Etat palestinien installé dans la bande de Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem comme capitale. Evidemment, les dirigeants israéliens en sont à des années-lumière, mais enfin, c’est déjà tout autre chose, de la part du Hamas, que d’avoir pour seul horizon l’éradication d’Israël. D’ailleurs, lors des élections de 2006 qui ont vu sa victoire sur le Fatah, le Hamas n’a pas fait campagne sur la destruction d’Israël, mais plutôt sur la lutte pour une meilleure vie quotidienne et contre la corruption ; en juin 2008, il a discuté avec le gouvernement israélien, pour établir la trêve de six mois dont la fin a abattu sur Gaza l’opération israélienne « Plomb Durci ».

"La guerre ne profite qu’à lui seul.”

Celle-ci a provoqué une profusion de commentaires selon lesquels Israël doit se résoudre à prendre en compte la réalité Hamas, s’il ne veut pas devoir finalement (ré) occuper Gaza et s’enfoncer dans une aventure de plus en plus difficile à gérer. Même si le Hamas subit une rude défaite militaire, son prestige de martyr n’en sera qu’augmenté, et son action de solidarité sociale, sa réputation d’intégrité, continueront à lui gagner des sympathies. C’est d’autant plus vrai que l’autre organisation palestinienne de masse, le Fatah, est de plus en plus discréditée, y compris en Cisjordanie, qui devrait être son fief. Le 6 janvier, Le Monde publiait une interview d’un leader de ce mouvement, qui déclarait lui-même : «Toute la génération des 16-20 ans se range derrière le Hamas. La guerre ne profite qu’à lui seul.»

Quels projets ?

Bien malin qui pourrait dire aujourd’hui quel but politique réel poursuivent à long terme les dirigeants israéliens, et on peut se demander s’ils en partagent un – question assez sidérante à propos d’une opération qui a déjà fait, à l’heure présente, près de 800 morts - . Mais on peut tout autant s’interroger sur le projet stratégique du Hamas. Rayer Israël de la carte ? Sauf pour des gesticulations de meeting, le propos apparaît aujourd’hui presque grotesque. S’insérer dans le jeu politique ? Mais ses tensions internes semblent l’en empêcher, alors que chaque seconde compte. Reste une troisième possibilité, que les origines du mouvement, issu des Frères Musulmans, ne permettent pas d’exclure. La Charte de 1988 donne un but, « planter l’étendard de Dieu sur toute la Palestine », mais pas de délai. Peut-être qu’aux yeux de certains dirigeants, tant mieux si l’épouvantable bras de fer dure encore pendant des décennies : chaque bombardement, chaque journée d’horreur, chaque mort d’enfant radicalisent un peu plus les masses arabes et les musulmans, non seulement en Palestine, mais un peu partout. Chaque goutte du sang de chaque martyr fait grossir les troupes de la Foi et les rend plus radicales, dans le monde entier. Dans cette optique, plus l’affrontement se prolonge sur le sol de Palestine, plus les défenseurs de la charia trouveront d’écho sur tous les continents. Bien entendu, on peut symétriquement soupçonner – pour le moins – certains Israéliens de souhaiter longue vie au Hamas, parce que ses roquettes leur donneront prétexte à transformer chaque jour plus Israël en forteresse assiégée.

La Charte.

A ceux-là, la Charte du Hamas fournit une brassée d’arguments. Il est question que le mouvement se donne un autre texte de base, mais en attendant, celui de 1988 est toujours officiellement en vigueur.
On ne peut contester sa tonalité antisémite : dès les premières lignes, on y lit « Notre combat avec les Juifs est une entreprise grande et dangereuse… ». Plus loin, c’est clairement de ceux-ci qu’il est question quand on lit : « les ennemis ont dressé des plans et les ont adoptés pour parvenir là où ils sont arrivés actuellement. Ils ont travaillé à rassembler des fortunes matérielles considérables et dont l'influence est grande qu'ils ont affectées à la réalisation de leur rêve. Grâce à l'argent, ils règnent sur les médias mondiaux. Ce sont eux qui étaient derrière la révolution française, la révolution communiste et la plupart des révolutions (…). Grâce à l'argent, ils ont créé des organisations secrètes qui étendent leur présence dans toutes les parties du monde pour détruire les sociétés et réaliser les intérêts du sionisme, comme la franc-maçonnerie, les clubs Rotary et Lyons, le B'nai B'rith (…) » .
Les mêmes « ennemis » sont accusés d’avoir déclenché les deux guerres mondiales et d’avoir créé la Société des Nations et l’ONU pour dominer le monde ( ! ) . « Qu'une guerre éclate de-ci de-là et c'est leur main qui se trouve derrière. » Encore plus consternant : « Leur plan se trouve dans "les Protocoles des Sages de Sion" » : ce texte est un faux célèbre, publié voici un siècle, soi-disant procès-verbal de réunions au cours desquelles des juifs auraient mis au point un plan de conquête du monde. Rapidement démasqué comme une imposture, ce torchon fait encore des ravages. Après quoi, on promet qu’ « A l'ombre de l'islam, les disciples des trois religions, islamique, chrétienne et juive, peuvent coexister dans la sécurité et la confiance », mais les Juifs qui le liront après pareil préambule auront quelques doutes.

Toute solution diplomatique est définitivement écartée : « Le Mouvement de la Résistance Islamique considère que la terre de Palestine est une terre islamique waqf [donnée à perpétuité] pour toutes les générations de musulmans jusqu'au jour de la résurrection. Il est illicite d'y renoncer en tout ou en partie, de s'en séparer en tout ou en partie. (…) Les initiatives, les prétendues solutions de paix et les conférences internationales préconisées pour régler la question palestinienne vont à l'encontre de la profession de foi du Mouvement de la Résistance Islamique. Renoncer à quelque partie de la Palestine que ce soit, c'est renoncer à une partie de la religion. » et encore « Sortir du cercle du conflit avec le sionisme constitue une haute trahison qui entraînera la malédiction sur ses auteurs. » Bref, « Il n'y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad. Quant aux initiatives, propositions et autres conférences internationales, ce ne sont que pertes de temps et activités futiles. »

La Charte définit le rôle de la femme en des termes brefs mais énergiques : « Dans la bataille de libération, la femme musulmane a un rôle qui n'est pas inférieur à celui de l'homme : être l'usine à hommes. Elle joue un grand rôle dans l'orientation et l'éducation des jeunes générations. » Sur ce que cette éducation doit être, le texte est également sans ambiguïté : « Il faut que l'éducation des jeunes générations islamiques dans notre région soit une éducation islamique fondée sur l'accomplissement des obligations religieuses, l'étude conscientisée du Livre de Dieu, l'étude de la tradition prophétique, la lecture de l'histoire et du patrimoine islamique dans ses sources fiables ».

(traduction utilisée : ici)

"Les intérêts des masses".

Encore une fois, ce texte n’est visiblement plus la boussole dont s’inspirent pratiquement les leaders du Hamas, mais il n’a été ni remplacé ni abandonné. Cela dit, nous voyons avant tout son extrémisme religieux, son antisémitisme, son bellicisme, son antiféminisme, mais les réfugiés vivant dans des camps, les palestiniens entassés à Gaza et même ceux de Cisjordanie doivent surtout être sensibles à la phrase : « Les éléments du Mouvement de la Résistance Islamique doivent considérer les intérêts des masses comme ils considèrent leurs propres intérêts. Il ne leur faut épargner aucun effort dans la réalisation comme dans la préservation de ces intérêts. » Et la pratique du Hamas leur démontre apparemment qu’il ne s’agit pas de vaines paroles.


Mots-clef : Hamas, charte, djihad, Israël, Fatah, Gaza, Cisjordanie

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